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La Chambre sociale de la Cour de cassation a procédé le 18 mars 2020 à un bouleversement très important, pour ne pas parler d’une véritable révolution à l’échelle des salons feutrés du quai de l’horloge, concernant la charge de la preuve des heures supplémentaires. Et disons-le clairement, ce changement s’est (pour une fois…) effectué pour le plus grand profit des salariés. Le salarié qui réclame en justice le paiement des heures supplémentaires qu’il a réalisées voit désormais le fardeau de la preuve être considérablement allégé.

L’entreprise ne constitue pas toujours un lieu où règne l’équité et la transparence, les passe-droits et les privilèges, parfois instrumentalisés par l’employeur, y ont toute leur place. Certaines décisions prises par l’employeur au nom de son pouvoir de direction peuvent provoquer un sentiment d’injustice chez des salariés : absence d’augmentation de salaire alors qu’un collègue qui semblait moins méritant en a bénéficié, refus d’une promotion en dépit d’un engagement pris…. Les victimes d’une inégalité de traitement vivent souvent cette situation comme une profonde injustice.

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Intérêt de la distinction

Le temps de travail n’est pas constitué d’une période univoque mais comprend l’addition des différentes périodes qui le composent, auxquelles est associé un régime juridique spécifique : temps de travail effectif, de déplacement, de pause, de repos, d’astreinte…

Un contentieux assez nourri porte notamment sur la distinction qui est opérée entre le temps de travail effectif et le temps d’astreinte.

Cette distinction présente un intérêt tout particulier lorsqu’il s’agit pour le salarié d’établir l’existence d’heures supplémentaires dont il réclame le paiement.

En effet, les heures supplémentaires accomplies ne sont valablement prises en considération et ouvrent droit à paiement que si, d’une part, elles excédent la durée légale ou conventionnelle de travail hebdomadaire et d’autre part, si elles correspondent à un temps de travail effectif.

Cette dernière exigence résulte du Code du travail, qui prévoit que la durée légale de travail effectif à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine (article L 3121-27 du Code du travail).

Si le temps de travail effectif est assimilé dans le langage commun à celui pendant lequel le salarié est opérationnel et participe à l’activité de l’entreprise, les juristes en retiennent une définition plus précise.

Définition juridique du temps de travail effectif et de l’astreinte

Le temps de travail effectif est décrit dans le Code du travail comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (article L 3121-1 du Code du travail).

Ce temps exclut donc a priori celui consacré aux pauses de toutes sortes (déjeuner, repos..) ainsi que celui utilisé pour l’habillage et le déshabillage (sauf dispositions conventionnelles particulières).

Le temps de déplacement professionnel, pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas non plus considéré comme du temps de travail effectif (article L 3121-4 du Code du travail).

La période d’astreinte s’entend, quant à elle, comme celle pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise, étant précisé que la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif (article L 3121-9 du code du travail).temps de travail effectif et heures supplémentaires

Elle fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.

Les litiges relatifs à une demande de requalification du temps d’astreinte en temps de travail effectif consistent donc à apprécier si le salarié peut, ou non, vaquer à ses occupations personnelles et s’il est employé à un temps de travail professionnel.

Des illustrations tirées de la jurisprudence permettent de mieux caractériser ces deux temps d’activité du salarié.

Illustrations du temps de travail effectif

Un salarié exerçant les fonctions super intendant d’un cargo est tenu par son employeur à l’exécution d’heures « de permanence », qu’il refuse de payer comme du temps de travail effectif, en début et fin de chargement du bateau, pendant lesquelles le salarié doit résider dans des hôtels situés à proximité des zones portuaires et rester joignable afin de pouvoir intervenir en cas de besoin.

L’intéressé saisit la juridiction prud’homale d’une demande de paiement d’heures supplémentaires.

Il obtient gain de cause, les heures de « permanence » constituant un temps de travail effectif qui devait être rémunéré comme tel.

Les juges relèvent en effet que l’obligation qui lui est faite, d’une part, de rester à proximité du navire, d’autre part, d’être disponible à tout moment afin d’intervenir immédiatement en vue de pallier toute difficulté, caractérisent des contraintes imposant au salarié de se tenir en permanence à la disposition de l’employeur et l’empêchent de vaquer librement à des occupations personnelles (Cass. Soc. 16 juin 2021 n° 19-15154).

En revanche, la solution retenue est différente dans une affaire où un salarié travaillant dans une zone aéroportuaire, demandait un rappel de salaire lié au temps de transport qu’il devait effectuer chaque jour dans l’enceinte de l’entreprise afin de rejoindre son poste de travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation retient que la circonstance que le salarié soit astreint de se déplacer vers son lieu de travail, à l’intérieur de l’enceinte sécurisée de l’infrastructure aéroportuaire, au moyen d’une navette, ne permet pas de considérer que ce temps de déplacement constitue un temps de travail effectif, car il n’est pas démontré qu’il se trouvait à la disposition de son employeur et devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (Cass. Soc. 9 mai 2019 n° 17-20740).

Illustrations de la période d’astreinte

Une salariée travaillant pour une société hôtelière a signé un contrat de travail comportant des « astreintes à domicile », à raison de trois ou quatre nuits par semaine, donnant lieu à l’attribution d’un logement de fonction au sein de l’établissement où elle les effectue.

Elle demande à la juridiction prud’homale de requalifier ce temps d’astreinte en temps de travail effectif.

Sa demande est rejetée, la juridiction prud’homale relevant le caractère exceptionnel de ses interventions.

Celles-ci étaient limitées soit à un problème de sécurité, soit à des dysfonctionnements de la borne automatique d’accès à l’hôtel la nuit, de sorte que

L’obligation à laquelle était soumise la salariée, qui disposait d’un logement de fonction au sein de l’établissement, d’assurer une présence afin de pouvoir répondre à des demandes éventuelles et d’intervenir en cas d’urgence touchant à la sécurité des personnes et des biens, sans être soumise à des sujétions particulières, devait recevoir la qualification d’astreinte (Cass. Soc. 24 mars 2010 n° 08-44453).

En revanche, il en va différemment s’agissant d’un salarié, dépanneur automobile, assurant outre ses fonctions habituelles de dépannage, une permanence pour intervenir sur une portion délimitée d’autoroute.

Ce salarié avait saisi le Juge d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et demandait le paiement d’heures supplémentaires, notamment celles réalisées dans le cadre de la période « de permanence ».

Après avoir échoué en appel, la Chambre sociale de la Cour de cassation lui donne raison et fournit une grille d’analyse.

Elle reproche aux Juges d’appel d’avoir écarté sa demande de requalification d’une période d’astreinte en temps de travail effectif,

sans vérifier s’il avait été soumis, au cours de cette période, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles (Cass. Soc. 26 oct. 2022 n° 21-14178).

L’intensité des contraintes, obstacle à la liberté du salarié de vaquer à ses occupations, critère de l’astreinte

Dans une décision remarquée, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la situation d’un salarié, employé d’hôtel.

Celui-ci devait effectuer en moyenne quatre nuits d’astreinte hebdomadaires, du vendredi soir au mardi.

Considérant qu’elles constituaient en réalité du temps de travail effectif, il réclamait le paiement d’heures supplémentaires, après avoir été licencié.

L’employeur lui objectait qu’il logeait dans une chambre de fonction réservée à cet effet et qu’une borne d’accès 24 heures sur 24 permettait aux clients d’avoir un accès libre à l’hôtel sans avoir à s’adresser au salarié de permanence, ce qui limitait donc ses interventions durant les nuits passées à l’hôtel.

Il en déduisait qu’il ne s’agissait pas d’un temps de travail effectif.

La Cour d’appel avait retenu l’argument et suivi partiellement le salarié, après avoir relevé qu’il était appelé à intervenir régulièrement durant ses périodes d’astreinte, compte tenu de la vétusté des lieux et du matériel de l’hôtel.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cette décision (Cass. soc. 14 mai 2025 n° 24-14319).

L’intéressé soutenait en effet que son numéro de téléphone figurait sur la borne automatique de l’hôtel et qu’il était très souvent dérangé.

Il appartenait donc aux Juges du fond de vérifier s’il avait été soumis au cours de ces périodes,

à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles.

L’intensité des contraintes, affectant objectivement et très significativement, la faculté du salarié de vaquer à ses occupations personnelles est donc un critère à prendre en considération pour déterminer s’il s’agit d’un temps de travail effectif.

Les situations permettant au salarié licencié de bénéficier d’une indemnité qui échappe aux fourches caudines du barème Macron sont assez limitées. Elles le sont d’autant plus que la Cour de cassation a récemment affirmé la validité de ce barème et sa compatibilité avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (l’OIT), refermant ainsi une ouverture qui avait pu susciter quelque espoir (Cass. Soc. 11 mai 2022 n° 21-14490).

Le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a été adopté par l’Assemblée Nationale et doit être voté, et très probablement approuvé, par le Sénat. Ce texte, qui a fait l’objet de vives polémiques, comporte il est vrai des dispositions qui laissent pour le moins perplexe et nous semble révélatrices d’un postulat contestable.

La définition du licenciement pour motif économique a pendant longtemps été forgée par la jurisprudence qui avait notamment élargi le périmètre d’appréciation de la cause économique au groupe, considéré que la réorganisation de l’entreprise constituait un cas de recours au licenciement économique et délimité les contours de l’obligation de reclassement applicable à l’employeur en l’étendant au groupe et à ses implantations à l’étranger. Une certaine défiance à l’égard du Juge et la volonté de pérenniser les acquis essentiels de cette construction prétorienne ont incité le législateur a modifié la définition du licenciement économique.

L’implication et la conscience professionnelle d’un salarié peuvent l’inciter à répondre favorablement aux sollicitations d’un employeur qui l’interroge, comme si de rien n’était, sur le suivi de son activité professionnelle pendant qu’il est en arrêt maladie. Il n’est en effet pas si rare qu’un salarié qui a envoyé un arrêt de travail à son employeur soit contacté par celui-ci pendant cette période de suspension du contrat de travail.

La liberté d’expression connaît incontestablement des limites dans l’entreprise où elle est encore loin de s’exercer dans sa plénitude, ainsi que viennent douloureusement de le rappeler de récentes décisions relatives à l’exercice individuel et collectif de ce droit par des salariés. La liberté d’expression individuelle du salarié La liberté d’expression est protégée par les normes juridiques les plus élevées en droit interne et international (Constitution, déclaration des droits de l’Homme, Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, Charte des Droits fondamentaux…), ce qui lui assure en principe un degré élevé de protection.

L’affaire FRANCE TELECOM a pour la première fois mis en lumière, de manière publique, l’existence d’un véritable plan d’entreprise destiné au départ d’un nombre très important de salariés (22 000 sur 3 ans), dont la mise en œuvre s’est notamment accomplie par le harcèlement moral et la souffrance au travail d’une multitude d’entre eux, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît. Ce harcèlement moral institutionnel, comme l’a qualifié le Tribunal correctionnel dans sa décision du 20 décembre 2019 (la Cour d’appel doit rendre son délibéré le 30 septembre prochain), est parfaitement illégal et a entrainé la condamnation pénale du PDG, du DG et du DRH de l’entreprise, qui étaient les initiateurs de cette politique de « déflation massive des effectifs à marche forcée ».

Dans la torpeur de l’été, le gouvernement a ressorti de vieilles lunes dans le but d’espérer redonner du pouvoir d’achat aux salariés ; il leur suffira de travailler plus pour gagner plus, en bénéficiant de la défiscalisation des heures supplémentaires qu’ils auront accomplies ou de celle des jours de RTT auxquels ils auront renoncé et qu’ils auront travaillés… voilà qui nous rappelle de lointains souvenirs !