Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

L’embauche d’un travailleur étranger en situation irrégulière est interdite, certains employeurs s’accommodent pourtant de la situation…

Si la loi s’applique à tous et l’interdiction d’embaucher une personne étrangère en situation irrégulière ne tolère aucune exception, la réalité s’avère parfois quelque peu différente…

On sait que l’emploi d’un travailleur étranger est subordonné à l’obtention préalable d’une autorisation administrative.

L’article L 8251-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ».

En dépit de la rigueur de ces dispositions, c’est pourtant un secret de polichinelle que dans des secteurs d’activité comme la restauration, le bâtiment, l’industrie… des employeurs font fréquemment appel à des salariés étrangers en situation irrégulière pour des emplois peu qualifiés, où les conditions de travail sont difficiles, alors qu’ils peinent à recruter des salariés réguliers.

Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait le fruit du hasard si le projet de loi « immigration », qui doit être examiné par le parlement au début de l’année 2023, envisage la création d’un titre de séjour « métiers en tension » pour les travailleurs dépourvus de papiers…

De fait, certains employeurs peu scrupuleux embauchent en toute connaissance de cause une main d’œuvre étrangère en situation irrégulière, poussant le cynisme jusqu’à tirer parti de leur vulnérabilité pour les rémunérer à un niveau que la décence leur interdirait de proposer à des salariés en règle.

La dépendance de ces travailleurs précaires, auxquels la satisfaction d’avoir obtenu un emploi interdit toute forme de contestation, assure à l’employeur une mainmise absolue.

Et pour rompre le contrat de travail de l’intéressé, il lui suffira d’invoquer avoir découvert fortuitement qu’il ne disposait pas des titres administratifs requis.

A quelles indemnités le travailleur irrégulier a-t-il droit en cas de licenciement ?

L’absence d’autorisation administrative de travail par un ressortissant étranger constitue en effet un motif de licenciement.

La Chambre sociale de la Cour de cassation juge avec constance que « l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements et de l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle n’est pas constitutive en soi d’une faute privative des indemnités de rupture » (Cass. Soc. 4 juill. 2012 n° 11-18840).L’irrégularité de la situation du salarié ne constitue pas une faute grave

En sorte que la situation d’un travailleur irrégulier est en soi une cause de licenciement, privant ce salarié du bénéfice de l’indemnité prévue en cas de licenciement injustifié, et fixée actuellement par le « barème Macron ».

La question se pose donc de savoir à quelles indemnités ce salarié a droit.

Le Code du travail prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié étranger a droit au titre de la période d’emploi illicite à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que les règles relatives aux indemnités de rupture du contrat à durée indéterminée (préavis, indemnité de licenciement) ou celles applicables à la rupture du contrat à durée déterminée, se révèlent plus favorables (article L 8252-2 al. 2).

Ainsi, si au regard de l’ancienneté acquise par le salarié, le montant de l’indemnité de licenciement est supérieur à trois mois de salaire, celle-ci prévaudra sur l’indemnité forfaitaire précitée.

Il a cependant été jugé que cette indemnité forfaitaire ne se cumulait pas avec l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (égale à six mois de salaire), le salarié ne pouvant prétendre qu’à l’une ou l’autre (Cass. Soc. 14 fév. 2018 n° 16-22335).

L’irrégularité de la situation du salarié ne constitue pas une faute grave et ne justifie pas une  mise à pied conservatoire

La Cour régulatrice a en effet jugé que l’absence, par le salarié, de documents administratifs l’autorisant à travailler n’est pas un motif de licenciement pour faute grave.

Elle ajoute que l’employeur qui entend invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de l’emploi doit en faire état dans la lettre de licenciement.

Il semble établi que la production d’un faux titre de séjour par le salarié autorise son licenciement pour faute grave (Cass. Soc. 1er oct. 2014 n° 13-17745).

La Chambre sociale vient également d’apporter une précision utile.

L’affaire concernait un salarié mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable, puis licencié pour défaut de titre de séjour.

La mise à pied étant privative du salaire jusqu’à ce que la décision de l’employeur intervienne, l’intéressé en contestait la validité et réclamait son paiement en justice.

Il obtient logiquement gain de cause.

La Haute juridiction énonce tout d’abord que « seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire durant cette période ».

Puis affirme que l’employeur n’ayant invoqué aucune faute grave à l’appui du licenciement, le salarié en situation d’emploi illicite avait droit au paiement du salaire pour la période antérieure à la rupture du contrat de travail (Cass. Soc. 23 nov. 2022 n° 21-12125).

L’employeur est donc condamné à un rappel de salaire pour la période litigieuse.

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