Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

En cas de violation d’une liberté fondamentale, le barème Macron n’est pas applicable

Les situations permettant au salarié licencié de bénéficier d’une indemnité qui échappe aux fourches caudines du barème Macron sont assez limitées.

Elles le sont d’autant plus que la Cour de cassation a récemment affirmé la validité de ce barème et sa compatibilité avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (l’OIT), refermant ainsi une ouverture qui avait pu susciter quelque espoir (Cass. Soc. 11 mai 2022 n° 21-14490).

Ce n’est que dans les cas limités où un salarié est victime de harcèlement (moral ou sexuel), de discrimination, ou que l’employeur a méconnu des dispositions protectrices particulières (applicables aux salariés protégés, victimes d’accident du travail, en congé de maternité ou de paternité…) qu’il peut espérer s’extraire du barème Macron et obtenir de la juridiction prud’homale une indemnité de nature à réparer intégralement le préjudice qu’il a subi.

Dans ce contexte, il convient en outre de distinguer parmi les situations dérogatoires au barème Macron, la violation d’une liberté fondamentale.

Celle-ci doit être distinguée des autres causes d’annulation à double titre.

D’une part, lorsque le licenciement d’un salarié est annulé en raison de la violation par l’employeur d’une liberté fondamentale et que l’intéressé demande à être réintégré dans l’entreprise, il est en droit d’obtenir le paiement de ses salaires entre la date de son licenciement et celle de sa réintégration.

Or, la particularité réside dans le fait qu’à la différence des autres motifs d’annulation du licenciement, celui-ci exclut la déduction des éventuels revenus de remplacement (allocation chômage) perçus par le salarié entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration (Cass. Soc. 29 sept. 2021 n° 19-24956).

Cette différence est notable car elle peut représenter des sommes conséquentes, compte tenu de la durée de la procédure, si le salarié n’a pas retrouvé d’emploi.

Mais la juridiction prud’homale peut tenir compte de l’intégralité des griefs invoqués par l’employeur pour évaluer le montant de l’indemnité accordée au salarié

L’article L 1235-2-1, issu lui aussi des ordonnances Macron, prévoit en effet qu’en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l’un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d’examiner l’ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l’évaluation qu’il fait de l’indemnité à allouer au salarié.

On sait qu’il suffit que la juridiction prud’homale retienne la violation par l’employeur d’une liberté fondamentale pour que le licenciement soit jugé nul, sans qu’elle ait à examiner les autres motifs énoncés dans la lettre de licenciement.

Ainsi, si le congédiement du salarié sanctionne en réalité l’usage normal qu’il a fait de sa liberté d’expression, le Juge devra s’arrêter à cette seule circonstance pour annuler le licenciement, même si la lettre de licenciement comporte l’énumération d’autres griefs.article L 1235-2-1 du code du travail et pouvoir modérateur du juge en cas de pluralité de griefs

En revanche, conformément au texte de l’article L 1235-2-1, le Juge pourra examiner l’ensemble des griefs évoqués dans la lettre de rupture pour apprécier le montant de l’indemnité qu’il accordera au salarié.

L’idée étant évidemment d’inciter le Juge à user de son pouvoir modérateur au moment où il statue sur l’évaluation du montant de la condamnation de l’employeur en cas pluralité de griefs.

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient de livrer une première interprétation de cette disposition

Une salariée, assistante dentaire, fait l’objet d’un avertissement le 12 octobre 2018.

Un mois et demi plus tard, le 30 novembre 2018, elle saisit la juridiction prud’homale d’une demande d’annulation de l’avertissement et de résiliation judiciaire de son contrat de travail, l’intéressée reprochant par ailleurs à son employeur de graves manquements empêchant la poursuite du contrat de travail.

La réaction de celui-ci n’a pas tardé, il licenciait la salariée le 28 décembre 2018, invoquant les conséquences de son action en justice sur ses conditions de travail et ses relations avec la clientèle.

La salariée contestait donc également le bien-fondé de son licenciement.

Elle obtient satisfaction, la Cour d’appel prononçant l’annulation du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale, en l’occurrence celle d’agir en justice.

L’employeur est condamné à lui payer la somme de 38 110 €, correspondant à 16 mois de salaire (elle avait 11 ans d’ancienneté).

Manifestement mécontent du montant de cette condamnation, l’employeur forme un pourvoi en cassation, s’appuyant sur les dispositions de l’article L 1235-2-1 du Code du travail et critiquant les Juges d’appel pour ne pas avoir examiné les autres motifs énoncés dans la lettre de licenciement dans l’appréciation qu’ils ont faite du quantum.

Or, l’employeur n’avait pas émis de contestation, devant la juridiction d’appel, sur la somme réclamée par la salariée en conséquence de la nullité de son licenciement.

La Chambre sociale de la Cour de cassation apporte en conséquence la réponse suivante :  les dispositions de ce texte offrent à l’employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l’indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire. Ce n’est que lorsque l’employeur le lui demande que le juge examine si les autres motifs de licenciement invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l’indemnité versée au salarié qui n’est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l’article L 1235-3-1 du Code du travail (plancher fixé pour un licenciement nul) (Cass. Soc. 19 oct. 2022 n° 21-15533).

En d’autres termes, pour pouvoir prétendre à une réduction du montant des indemnités allouées à la salariée, encore fallait-il que l’employeur demande au Juge du fond d’examiner les autres griefs qu’il invoquait et que la salariée ait pu utilement lui répondre dans le cadre du débat judiciaire, de sorte que le Juge prenne sa décision après avoir entendu les arguments développés de part et d’autre.

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