Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Les vicissitudes de la définition du licenciement pour motif économique

La définition du licenciement pour motif économique a pendant longtemps été forgée par la jurisprudence qui avait notamment élargi le périmètre d’appréciation de la cause économique au groupe, considéré que la réorganisation de l’entreprise constituait un cas de recours au licenciement économique et délimité les contours de l’obligation de reclassement applicable à l’employeur en l’étendant au groupe et à ses implantations à l’étranger.

Une certaine défiance à l’égard du Juge et la volonté de pérenniser les acquis essentiels de cette construction prétorienne ont incité le législateur a modifié la définition du licenciement économique.

Celle-ci a connu alors en peu de temps une véritable effervescence législative, puisque la loi Travail du 8 août 2016, puis les ordonnances Macron de 2017 ont apporté leur pierre à l’édifice, inspirées par une volonté commune, celle de restreindre le champ des obligations pesant sur l’employeur, et presque mécaniquement, de réduire les droits que la jurisprudence avait accordé aux salariés.

La chambre sociale de la Cour de cassation commence à livrer son interprétation de la nouvelle définition du motif économique.

C’est ainsi qu’elle a énoncé que les difficultés économiques s’appréciaient en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période, et non en prenant comme référence l’année entière précédant le licenciement (Cass. Soc. 1er juin 2022 n° 20-19957).

Elle apporte désormais une précision sur les indicateurs économiques qui doivent être retenus par le juge pour caractériser les difficultés économiques de l’employeur.

Les indicateurs économiques à prendre en considération

Le Code du travail prévoit que le licenciement économique est justifié par l’existence de difficultés caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés (article L 1233-3).nouvelle définition du licenciement pour motif économique

Il détermine en outre la durée de la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, variable selon l’effectif de l’entreprise (entre un et quatre trimestres consécutifs).

Un salarié dont le contrat de travail avait pris fin le 20 mars 2017, après qu’il ait adhéré au Contrat de Sécurisation Professionnelle (CSP), avait saisi la juridiction prud’homale remettant en cause la validité de son licenciement pour motif économique.

Il contestait en particulier la réalité des difficultés économiques de son employeur.

Celui-ci avait produit pour en justifier ses bilans comptables des années 2013, 2014, 2015 et 2016, qui soulignaient que les pertes de la société s’étaient creusées chaque année davantage.

La Cour d’appel avait néanmoins fait droit aux demandes du salarié et invalidé son licenciement, considérant que la preuve de la réalité des difficultés économiques n’était pas rapportée par l’employeur dès lors qu’il ne justifiait pas de sa situation à la date exacte du licenciement, autrement que par des résultats prévisionnels pour 2017.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure ce raisonnement.

Elle affirme au contraire que :

« si la réalité de l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n’est pas établie, il appartient au juge, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par l’article L 1233-3 du Code du travail, tel que des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés »

Elle relève en l’occurrence que l’employeur produisait non seulement ses bilans des années 2013 à 2016, mais il s’appuyait également sur des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social de la société et un niveau d’endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016.

Elle reproche en conséquence aux Juges d’appel de ne pas avoir recherché si l’employeur justifiait de difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par le code du travail, soit par tout autre élément de nature à les justifier (Cass. Soc. 21 sept. 2022 n° 20-18511).

Une interprétation large des difficultés économiques de l’entreprise

La Haute juridiction retient donc une acception large des indicateurs caractérisant les difficultés économiques de l’entreprise, ce qui est conforme au texte de l’article L 1233-3 du Code du travail.

Le niveau d’endettement et la baisse des capitaux propres n’en constituent manifestement qu’une des illustrations.

On peut s’interroger sur le point de savoir si la baisse de « l’EBITDA », indicateur de rentabilité très prisé des entreprises et des groupes anglo-saxons, aura les mêmes faveurs.

En tout état de cause, les moyens de contestation des difficultés économiques de l’entreprise par les salariés se trouvent incontestablement limités par les nouvelles dispositions légales.

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