Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Si les dispositions législatives récentes ont favorisé les employeurs en assouplissant les règles relatives à la durée du travail, prévoyant notamment la possibilité de déroger à la durée légale par un simple accord d’entreprise, le paiement des heures supplémentaires accomplies par le salarié au-delà de la durée hebdomadaire applicable dans l’entreprise reste d’actualité.

Le contentieux relatif au paiement des heures supplémentaires est encore abondant devant les juridictions prud’homales.

1) Un premier aspect porte sur l’établissement de la preuve des heures supplémentaires accomplies par le salarié.

Souvent malaisée à rapporter car les litiges concernant le paiement des heures supplémentaires apparaissent fréquemment après la rupture du contrat de travail (licenciement, démission, prise d’acte…), alors que l’intéressé n’avait pas songé préalablement à conserver des documents établissant ses horaires de travail, la preuve des heures supplémentaires est néanmoins interprétée avec une certaine souplesse par la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

S’appuyant sur les dispositions de l’article L 3171-4 du Code du travail, la Haute juridiction considère que si la preuve des heures supplémentaires n’incombe spécialement à aucune des parties et que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.durée temps de travail

Ainsi, une salariée qui réclamait le paiement de ses heures supplémentaires produisait un tableau récapitulatif des heures qu’elle avait réalisées, mais son décompte ne comportait aucun détail des activités effectuées, ne mentionnait aucune pause et faisait état, pour chaque jour, d’une une heure début et fin de journée identique, alors même que ses activités l’amenaient à se déplacer en région et à effectuer des horaires décalés.

La Cour d’appel avait estimé que ce document ne permettait pas de supposer que la salariée avait réellement effectué des heures supplémentaires et qu’il n’était pas de nature à étayer ses prétentions.

A tort, selon la Cour de cassation, qui retient qu’elle avait produit un décompte des heures qu’elle soutenait avoir réalisées, auquel l’employeur pouvait répondre, de sorte que sa demande ne pouvait être rejetée (Cass. Soc. 31 janv. 2018 n° 16-12185).

2) Il importe également de souligner que depuis le 18 mars 2020, la charge de la preuve des heures supplémentaires a été modifiée

Allégeant considérablement le fardeau du salarié, la Haute juridiction jugeant qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments (Cass. soc. 18 mars 2020 n° 18-10919).

3) Le second aspect concerne l’évaluation du paiement des heures supplémentaires.

Il importe de relever que l’absence d’autorisation préalable de l’employeur ne fait pas obstacle au paiement, dès lors qu’elle n’exclut pas en soi un accord tacite de l’employeur à l’accomplissement des heures supplémentaires.

Plus encore, la Haute juridiction vient de juger dans une affaire où l’employeur, pour s’exonérer de leur paiement, avait indiqué dans plusieurs lettres ou courriers électroniques adressés à un salarié qu’il devait respecter la durée de travail de 35 heures par semaine et que les heures supplémentaires devaient faire l’objet d’un accord préalable avec le supérieur hiérarchique, accord qui ne lui avait pas été donné, qu’il convient de rechercher si les heures de travail accomplies avaient été rendues nécessaires à la réalisation des tâches confiées au salarié (Cass. soc. 14 nov. 2018 n° 17-20659).

Comme nous l’avons vu, le salarié doit établir un décompte le plus précis possible des heures de travail effectif qu’il a réalisées, étant précisé que le temps de travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (article L 3121-1 du Code du travail).

Le décompte des heures supplémentaires est réalisé de façon hebdomadaire, la durée du travail hebdomadaire s’entendant des heures de travail effectif et des temps assimilés.

Il est habituel devant les Conseils de Prud’hommes que, pour jeter le trouble dans l’esprit des Juges et éviter une condamnation au paiement d’heures supplémentaires, l’employeur s’oppose au décompte du salarié et remette en cause les horaires qu’il affirme avoir effectués, mettant parfois en avant des contradictions dans son emploi du temps.

Cette objection n’est pourtant pas décisive, car les Juges ont la faculté, s’ils ne retiennent pas le montant exact résultant du décompte produit par le salarié, d’évaluer par une somme forfaitaire le montant global des heures supplémentaires, sans entrer dans un détail qui peut leur sembler fastidieux (Cass. Soc. 4 déc. 2013 n° 12-17525), dès lors qu’ils ont constaté l’existence d’heures supplémentaires (Cass. Soc. 5 oct. 2016 n° 15-10279).

Dans une récente décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation a même jugé que, quand bien même le salarié n’aurait établi aucun décompte des heures supplémentaires qu’il avait effectuées, les Juges du fond ayant constaté l’accomplissement par le salarié d’heures supplémentaires demeurées impayées, il leur appartenait de déterminer la créance du salarié en résultant, et ils ne pouvaient rejeter sa demande (Cass. Soc. 24 oct. 2018 n° 17-21116).

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