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Manquements de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le déséquilibre de la relation de travail

La relation de travail est basée sur la dichotomie suivante : l’employeur concentre l’essentiel des pouvoirs (pouvoir de direction, pouvoir disciplinaire…), assorti de quelques obligations (de payer le salaire, obligation de sécurité…), tandis que le salarié se voit reconnaître quelques droits et est astreint à de nombreuses obligations.

Lorsque le salarié manque à une de ses obligations, il s’expose à subir une sanction disciplinaire dont la plus lourde est le licenciement.

De manière symétrique, l’employeur défaillant à ses obligations engage sa responsabilité.

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère en effet que lorsque les manquements qu’il commet sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le salarié est fondé à en tirer les conséquences en poursuivant la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

L’initiative du salarié prend soit la forme d’une prise d’acte, qui produit un effet immédiat, soit celle d’une résiliation judiciaire du contrat de travail, qu’il demande à la juridiction prud’homale de prononcer.

Un examen rapide de la jurisprudence permet de dresser un aperçu non exhaustif de manquements de l’employeur justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts.

Défaut ou retard de paiement du salaire

Le paiement du salaire constituant une obligation essentielle pour l’employeur, le défaut, de paiement, y compris en raison des difficultés financières qu’il rencontre le cas échéant, constitue une des principales causes de rupture de la relation contractuelles à ses torts (Cass. Soc. 20 juin 2006 n° 05-40662).

Il en va de même lorsque l’employeur paye un salaire inférieur au minimum auquel le salarié a droit (Cass. Soc. 26 oct. 2011 n° 10-17396), et à plus forte raison un salaire inférieur au minimum conventionnel (Cass. Soc. 27 juin 2012 n° 11-16165).

La jurisprudence est en revanche plus fluctuante en ce qui concerne les retards de paiement de salaire.

Ainsi, si la Cour de cassation a pu juger qu’un retard de paiement à plusieurs reprises sur une période de cinq mois constituait un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc. 30 mai 2018 n° 16-28127), elle a également considéré que des retards dans le paiement du salaire deux mois consécutifs n’étaient pas de nature à légitimer une prise d’acte (Cass. Soc. 29 janv. 2020 n° 17-13961), de sorte que la caractère répétitif sur une période significative semble exigé.

Il convient donc de s’entourer de précaution en examinant attentivement les circonstances de fait avant de s’engager dans cette voie.

La Haute juridiction a également jugé que la suppression d’une prime contractuelle, même représentant une faible part de la rémunération du salarié, ainsi que le versement tardif des indemnités de prévoyance (ajouté à l’établissement tardif de l’attestation de salaire en vue du versement des indemnités journalières) caractérisaient un manquement de l’employeur à ses obligations salariales d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc. 19 mai 2021 n° 20-14062).

Non-respect par l’employeur de ses obligations contractuelles

Plusieurs décisions soulignent que le non-respect par l’employeur de ses obligations contractuelles, et leurs conséquences à l’égard du salarié, justifient la rupture du contrat de travail à ses torts.

Ainsi le retrait des responsabilités d’encadrement d’une salariée définies commissions dues au salarié licencié sans cause réelle et sérieusedans son contrat de travail, doublé de l’absence de versement de sa rémunération variable d’un montant de 17 046,54 €, légitimait la prise d’acte par l’intéressée (Cass. Soc.21 oct. 2020 n° 19-12510).

En outre, la définition tardive de la mission d’un salarié, associée à sa mise à disposition de moyens défaillants pour l’exercice de ses fonctions, justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail (Cass. Soc. 8 janv. 2020 n° 18-17966).

La Chambre sociale de la Cour de cassation a également énoncé que l’employeur n’était pas autorisé à s’exonérer du respect des dispositions légales et contractuelles en matière de rémunération, de sorte que la réduction du taux de commissionnement sans l’accord du salarié constituait une modification du contrat de travail autorisant la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié lésé (Cass. Soc. 24 mars 2010 n° 08-443996).

Il a en outre été jugé que la modification de la part variable de la rémunération du salarié, en fonction de critères nouveaux qui ne reposaient pas sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur et que ce dernier avait mis en place puis maintenu ce dispositif en dépit du refus exprès du salarié justifiait la résiliation judiciaire du contrat de travail (Cass. soc. 6 fév. 2019 n° 17-26562).

Manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité

On sait que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité, fondée sur les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, qui lui impose de prévenir les risques professionnels et d’agir immédiatement et de manière effective face à toute situation contrevenant à cette obligation dont il est alerté par un salarié.

La Chambre sociale de la Cour de cassation énonçait a posé pour règle que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements (Cass. Soc. 11 mars 2015 n° 13-18603).

On retiendra à ce titre deux décisions récentes.

Salarié(e) victime de harcèlement sexuel

Dans une affaire où une salariée avait été victime de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique, sanctionné pénalement pour ces faits ; elle avait développé un syndrome dépressif réactionnel pris en charge au titre des accidents du travail.

Cependant, l’employeur, bien qu’informé, n’avait pris aucune mesure pour éloigner l’auteur du harcèlement du poste occupé par la salariée, et s’était contenté de le sanctionner d’un avertissement,

Il a été jugé que l’existence qu’un tel manquement de l’employeur à son obligation de sécurité était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc. 17 fév. 2021 n° 19-18149).

Salarié(e) victime de harcèlement moral

L’employeur était resté inerte alors qu’il avait été saisi par une salariée qui se plaignait  d’un harcèlement moral commis par son supérieur hiérarchique.

Il n’avait pas proposé de procéder à une enquête ou de prendre quelque mesure que ce soit pour déterminer si effectivement elle était victime de harcèlement et dans l’affirmative, pour y remédier.

La Haute juridiction retient que l’employeur n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires, notamment préventives, pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de la salariée, le manquement à son obligation de sécurité était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc.6 janv. 2021 n° 19-17299).