Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le contexte

L’entreprise ne constitue pas toujours un lieu où règne l’équité et la transparence, les passe-droits et les privilèges, parfois instrumentalisés par l’employeur, y ont toute leur place.

Certaines décisions prises par l’employeur au nom de son pouvoir de direction peuvent provoquer un sentiment d’injustice chez des salariés : absence d’augmentation de salaire alors qu’un collègue qui semblait moins méritant en a bénéficié, refus d’une promotion en dépit d’un engagement pris….

Les victimes d’une inégalité de traitement vivent souvent cette situation comme une profonde injustice.

Plus encore lorsqu’après avoir demandé des explications à l’employeur, celui-ci n’en fournit pas et refuse d’agir.

Le droit du travail fixe des règles juridiques encadrant précisément les différences de traitement entre salariés.

Pas de différence de traitement entre salariés qui se trouvent dans la même situation au regard d’un avantage

La jurisprudence a érigé une règle impérative : « à travail égal, salaire égal ».

Dit autrement, la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation est la suivante : l’employeur ne peut traiter différemment des salariés qui se trouvent dans la même situation au regard d’un avantage qu’à la condition que des raisons objectives et pertinentes justifient cette différence de traitement.

Le premier terme de cette affirmation énonce que l’employeur n’est pas fondé à accorder un traitement différent à des salariés placés dans une situation identique au regard d’un avantage.

A titre d’illustration récente, il a ainsi été jugé qu’un employeur n’était pas en droit de refuser une prime de panier à une salariée alors qu’il l’accordait aux autres salariés de l’atelier dans lequel elle travaillait.Pas de différence de traitement entre salariés qui se trouvent dans la même situation au regard d'un avantage

Pour toute justification de cette différence de traitement, l’employeur avançait que cet avantage serait réservé aux commerciaux, argument qui s’est révélé en réalité inexact.

Il est condamné en conséquence à payer la prime à la salariée lésée (Cass. Soc. 19 oct. 2022 n° 21-16321).

Autre exemple, un ouvrier ayant pris sa retraite réclamait à son employeur le paiement d’un 14ème mois qu’avaient perçu d’autres salariés de l’entreprise.

L’employeur lui opposait qu’il ne pouvait y prétendre car le bénéfice de cette prime était attribué aux cadres et à certains agents de maîtrise, catégories dont il ne relevait pas.

Les Juges constatent cependant que le critère d’attribution ne tenait pas à la différence entre d’une part, les salariés cadres et agents de maîtrise, et d’autre part les ouvriers, en sorte que le salarié se trouvait, au regard de l’avantage considéré dans la même situation que celle des salariés auxquels il se comparait.

La différence de traitement ne reposant pas sur des raisons objectives, l’employeur est donc redevable du paiement de la prime litigieuse (Cass. Soc. 24 juin 2020 n° 18-20506).

Qu’est-ce qu’une raison objective et pertinente pouvant justifier une différence de traitement entre salariés se trouvant dans la même situation ?

La jurisprudence s’avère là encore éclairante.

Différence justifiée :

Des salariés exerçant des fonctions d’agent d’exploitation bagagiste, occupés au chargement et déchargement des bagages des voyageurs transportés sur le site aéroportuaire de Roissy, invoquent une différence de traitement injustifiée avec leurs collègues travaillant sur un autre site (Orly), qui bénéficient d’une prime à laquelle ils n’ont pas droit.

La Cour d’appel, approuvée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, relève que le versement de la prime est accordé aux salariés en raison de conditions particulières de travail liées à une situation de sous-effectif persistante, elle a pour objet de compenser la sujétion liée à une surcharge de travail à laquelle leurs collègues des autres sites ne sont pas soumis.

Cette circonstance constitue donc une raison objective et pertinente pouvant justifier une différence de traitement (Cass. Soc. 4 oct. 2017 n° 16-17425).

Différence injustifiée :

Un salarié demande un rappel de salaire, avec une régularisation sur plusieurs années.

Il a été engagé en qualité d’assistant journaliste reporter d’images stagiaire, le 18 juin 1999,  avant d’être promu Journaliste reporter d’images un an plus tard.

Il compare sa situation avec celle d’une autre salariée embauchée en qualité de journaliste reporter d’images trois mois avant lui, le 22 mars 1999.

La Cour d’appel le déboute, retenant comme seul argument que la différence de qualification lors de l’embauche des deux salariés constituait une raison objective à leur différence de salaire.

Cette décision est censurée par la Haute Juridiction, qui reproche aux Juges d’appel de ne pas avoir précisé en quoi la différence de qualification des salariés lors de leur engagement en 1999, avec des qualifications différentes, constituait une raison objective et pertinente justifiant la disparité de traitement dans l’exercice des mêmes fonctions de grand reporter, qu’ils occupaient ensuite (Cass. soc. 13 sept. 2023, n° 22-11338).

La différence de qualification lors de l’embauche n’est donc pas, en tant que tel, une cause pouvant justifier une différence de traitement entre salariés.

Nécessité que les règles déterminant les conditions d’éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables

Dans ses dernières décisions, la Cour de cassation pose une exigence supplémentaire.

Elle énonce ainsi qu’en application du principe d’égalité de traitement, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l’avantage en cause, aient la possibilité d’en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d’éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables (Cass. soc. 15 mars 2023 n° 21-18078, Cass. soc. 16 mars 2022 n° 20-22688).

Renforçant ainsi l’obligation de transparence et la nécessité que les règles aient été préalablement déterminées.

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