Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La plupart du temps, le bonus résulte du contrat de travail
Le bonus est le terme couramment employé pour désigner une rémunération variable que l’employeur paie au salarié une, ou parfois plusieurs, fois par an.
Il trouve essentiellement sa source dans le contrat de travail.
Pour autant, l’indication du paiement d’un bonus dans le contrat de travail n’est pas toujours suffisante pour donner au salarié la certitude qu’il lui sera régulièrement payé.
En effet, il existe une distinction importante selon que le contrat stipule que « le salarié pourra bénéficier d’un bonus qui lui sera versé de façon discrétionnaire », ou « le salarié bénéficiera d’un bonus à objectifs atteints ».
Dans le premier cas, le caractère discrétionnaire du bonus, qui est admis par la jurisprudence, dépendra très largement de l’appréciation, des circonstances ou du bon-vouloir, de l’employeur.
Dans l’autre, l’employeur sera obligé au paiement dès lors que les objectifs qui ont été fixés au salarié ont été atteints.
Distinguons ces deux situations.
Le paiement du bonus peut être discrétionnaire
Tout d’abord, et comme rappelé précédemment, il n’est pas contesté que l’existence du versement d’un bonus discrétionnaire par l’employeur soit licite.
C’est notamment vrai lorsque le contrat de travail est muet à ce sujet, et que l’employeur paie de manière exceptionnelle un bonus au salarié, qu’il fera généralement figurer sur le bulletin de paie sous le nom de « prime exceptionnelle ».
Ça l’est aussi lorsque le contrat de travail prévoit le versement d’un bonus dont l’employeur se réserve le paiement, de sorte que celui-ci peut présenter un caractère irrégulier.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que :
« Le contrat de travail peut prévoir, en plus de la rémunération fixe, l’attribution d’une prime laissée à la libre appréciation de l’employeur » (Cass. Soc. 10 oct. 2012 n° 11-15296).
Un bonus discrétionnaire qui ne l’est pas toujours
En application du principe « à travail égal salaire égal », la jurisprudence énonce également dans cette décision que :
« Le caractère discrétionnaire d’une rémunération ne permettait pas à un employeur de traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable au regard de l’avantage considéré ».
Il est donc tenu d’assurer une égalité de traitement entre salariés et n’est pas fondé à attribuer un bonus à un salarié et le refuser à un autre lorsqu’ils sont placés dans une situation rigoureusement identique.
En outre, il arrive que sous le qualificatif de « bonus discrétionnaire » ou de « prime exceptionnelle » se dissimule en réalité un élément de rémunération habituel du salarié.
Un tel procédé n’est pas davantage acceptable.
C’est ainsi que dans une récente affaire, les bulletins de paie d’un salarié établissaient qu’il avait régulièrement perçu un bonus chaque année au mois d’avril, après ses entretiens annuels d’évaluation.
Les Juges avaient fait ressortir que :
Le bonus, nonobstant la qualification de discrétionnaire qui lui était donnée par l’employeur, n’était pas exceptionnel et avait été attribué au salarié régulièrement, chaque année, pendant sept ans, de sorte qu’il constituait un élément de la rémunération du salarié (Cass. Soc. 5 juill. 2023 n° 21-16694).
Deuxième situation : le contrat de travail prévoit le versement d’un bonus que l’employeur ne paie pas
Le contrat de travail prévoit habituellement que le salarié bénéficiera du paiement d’un bonus dont le montant sera établi en fonction de l’atteinte des objectifs qui lui auront été fixés.
On se souvient que la jurisprudence considère à cet égard que :
Les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice.
Ces objectifs sont revus à intervalle régulier (annuellement, le plus souvent).
Le contrat de travail renvoie à un avenant le soin de préciser les modalités et les chiffres à atteindre, lorsque les objectifs sont chiffrés.
Pour vérifier si le salarié a réussi en tout ou partie, cette performance, il fera l’objet d’un entretien (annuel ou semestriel) d’évaluation destiné à examiner si les objectifs, qui avaient été déterminés en début d’exercice, ont été atteints.
Le salarié percevra alors un bonus, dans le mois qui suit son entretien d’évaluation, qui sera le reflet du travail qu’il a déployé.
Mais là encore, cette belle mécanique peut se gripper…
L’employeur ne fixe pas d’objectifs
La carence de l’employeur, qui ne fixe pas d’objectifs, est préjudiciable au salarié dès lors qu’elle le prive d’une partie de sa rémunération qui était stipulée dans le contrat de travail.
La jurisprudence est parfaitement constante à considérer que :
« L’employeur avait manqué à son obligation contractuelle d’engager chaque année une concertation avec le salarié en vue de fixer les objectifs dont dépendait la partie variable de la rémunération, la Cour d’appel a décidé à bon droit que la rémunération variable contractuellement prévue devait être versée intégralement pour chaque exercice » (Cass. Soc. 4 nov. 2021 n° 19-21005).
Toutefois, lorsque l’employeur a fixé des objectifs une année, mais s’est abstenu d’en assigner au salarié la ou les années suivantes, le salarié est fondé à réclamer le versement du bonus payé antérieurement :
Lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et à défaut d’un accord entre l’employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l’objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n’a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures (Cass. Soc. 4 juin 2009 n° 07-43198).
L’employeur prétend que les objectifs n’ont pas été atteints mais n’en justifie pas
La situation se complique lorsque l’employeur affirme de manière péremptoire qu’il ne versera pas de bonus au salarié car il n’a pas atteint ses objectifs, sans pour autant justifier de cette allégation.
Lorsque le salarié la conteste, il devra à nouveau se tourner vers la juridiction prud’homale pour avoir la solution…
Pour y répondre, la jurisprudence s’appuie sur les dispositions du Code civil : celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation (article 1353).
Il incombe en conséquence à l’employeur de rapporter la preuve de ce que les objectifs qu’il fixe unilatéralement sont réalisables.
En outre, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues, et non sur des données confidentielles (Cass. Soc. 27 sept. 2023 n° 22-13083).
Enfin, dernière règle d’une grande utilité pour permettre une parfaite transparence et échapper à l’arbitraire de l’employeur :
Le salarié devant pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail, lorsque ce calcul dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire (Cass. Soc. 24 juin 2020 n° 18-22750).