Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Des objectifs fixés unilatéralement par l’employeur
Les discussions avec l’employeur sur la fixation des objectifs pour l’année à venir sont souvent un moment délicat, sujet de confrontation entre une volonté de les rendre systématiquement plus ambitieux, d’un côté, et de faire preuve de réalisme en tenant compte des circonstances, de l’autre.
Invariablement en effet, l’employeur a tendance à les rendre plus difficiles à atteindre, y compris lorsque les conditions ne sont pas favorables, attendant (presque) toujours du salarié qu’il fournisse des efforts supplémentaires.
La jurisprudence reconnaît à l’employeur le pouvoir d’avoir le dernier mot, ou dit autrement, les objectifs peuvent être fixés unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction (Cass. Soc. 22 mai 2001 n° 99-41838).
Cette affirmation doit toutefois être nuancée par le fait que la Chambre sociale de la Cour de cassation énonce également que les objectifs définis unilatéralement par l’employeur doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (Cass. Soc. 2 avril 2014 n° 12-29381).
Étant précisé qu’il incombe à l’employeur de démontrer avoir effectivement communiqué au salarié ses objectifs en début d’exercice et de justifier de la date de communication (Cass. soc. 17 nov. 2021 n° 19-24907)
Le caractère réalisable relève quant à lui d’éléments objectifs, échappant au pouvoir discrétionnaire.
Dans une récente décision, la Haute juridiction a ainsi pu préciser qu’il appartenait notamment au Juge de vérifier si les objectifs fixés par l’employeur étaient réalisables compte tenu de sa politique commerciale (Cass. Soc. 24 juin 2020 n° 18-19723).
Il convient également de préciser que le caractère irréaliste des objectifs rend illicite le licenciement du salarié pour insuffisance professionnelle (Cass. Soc. 16 mai 2018 n° 16-25689).
Pour les salariés qui bénéficient d’une rémunération variable, le contrat de travail peut être d’un apport utile
C’est le cas lorsqu’il prévoit que les objectifs, qui déterminent les modalités de la rémunération variable, doivent être fixés d’un commun accord entre l’employeur et le salarié.
On ne saurait donc que trop conseiller de veiller à l’insertion d’une telle mention dans le contrat de travail lors de l’embauche, ou ultérieurement, lors de la conclusion d’un avenant.
Elle oblige en effet l’employeur à engager une négociation de bonne foi avec le salarié, de sorte que les parties parviennent à se mettre d’accord sur la définition des objectifs à retenir.
A défaut, la jurisprudence sociale considère qu’en l’absence de fixation des objectifs, le montant de la rémunération variable du salarié est établi en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes.
L’échec des négociations sur les objectifs renvoie donc à la poursuite sans changement des accords conclus antérieurement.
Précisons également que lorsque les objectifs servent à déterminer le montant de la rémunération variable du salarié, il a été jugé qu’ils ne pouvaient dépendre de la seule volonté de l’employeur (Cass. Soc. 9 mai 2019 n° 17-27448), lui refusant in fine le pouvoir de modifier unilatéralement la rémunération du salarié.
Dans une nouvelle décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de rappeler que l’employeur ne pouvait modifier à sa convenance les objectifs en cours d’exercice
Une salariée bénéficiait d’une rémunération mensuelle fixe, à laquelle s’ajoutait une part variable en fonction d’objectifs collectifs et d’objectifs individuels fixés pour chaque exercice.
En cours d’exercice, l’employeur considérant que les objectifs qu’il avait assignés à l’intéressée n’étaient manifestement pas réalistes, s’était autorisé à modifier sa rémunération variable à la baisse.
La salariée ne l’avait pas entendu ainsi et avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de commissions.
Cette demande est heureusement accueillie favorablement.
La Chambre sociale de la Cour de cassation énonce que
« si l’employeur peut modifier les objectifs annuels dans le cadre de son pouvoir de direction, il lui appartient cependant de le faire en début d’exercice, et non en cours d’exécution alors qu’il prend connaissance de leur niveau d’exécution ; l’employeur ne pouvait, à l’issue de l’exercice, unilatéralement, ni modifier le mode de calcul convenu de la rémunération, ni réduire le montant de la prime » (Cass. Soc. 8 avril 2021 n° 19-15432).
Il s’agit d’un rappel important à opposer à de nombreux employeurs qui procèdent de la sorte, en modifiant de façon plus exigeante les objectifs en cours d’année après qu’ils les aient estimés sous-évalués, profitant de la crédulité du salarié et d’un rapport de force qui peut le conduire à l’immobilisme.
Cette décision souligne que l’employeur ne peut, en cours d’exercice, modifier les règles applicables en modifiant le mode de calcul de la rémunération du salarié, ni évidemment réduire le montant de ses commissions
Il y a enfin lieu de préciser lorsque l’opacité règne, notamment si les objectifs dépendent pour partie d’objectifs collectifs auxquels le salarié n’a pas accès, que, de jurisprudence constante, l’employeur est dans l’obligation de communiquer les éléments servant à déterminer sa rémunération variable au salarié qui les lui demande (Cass. Soc. 25 nov. 2020, n° 19-10884).