Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Rémunération du salarié et fixation des objectifs

S’il est un élément du contrat de travail qui présente un caractère déterminant tant pour le salarié que pour l’employeur, c’est bien la rémunération.

Il est courant que la rémunération du salarié se compose d’une partie fixe, à laquelle s’ajoute une part variable, dont le montant, prévu par avance, est fixé en fonction de la réalisation d’objectifs à atteindre.

Ce mode de rémunération incitatif connaît un certain succès.

S’agissant d’un élément contractuel, on en tire pour conséquence que la rémunération d’un salarié ne peut être modifiée ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord (Cass. soc. 18 mai 2011 n° 09-69175).

Le contentieux s’est rapidement cristallisé autour des modalités de détermination des objectifs et de leur paiement par l’employeur.

Des objectifs, dans quelle langue ?

Il importe tout d’abord de préciser que le Code du travail prévoit que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français (article L 1321-6Avocat droit du travail Paris

Ce dont les juges ont déduit initialement que « lorsque les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle du salarié sont rédigés en anglais, le salarié peut se prévaloir de leur inopposabilité », quand bien même l’intéressé maîtriserait cette langue (Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-67492)

Les documents fixant les objectifs au salarié doivent donc être rédigés en français pour pouvoir valablement produire effet.

Cette règle subit toutefois un tempérament lorsque les documents ont reçus de l’étranger ou sont destinés à des étrangers.

Mais attention, il ne suffit pas que l’anglais soit la langue de travail dans l’entreprise pour que l’employeur puisse se soustraire à l’obligation de fixer les objectifs en français (Cass. soc. 7 juin 2023 n° 21-20322).

Première hypothèse : pas d’objectifs fixés

Il est une première hypothèse, pas si rare en pratique, où le contrat de travail prévoit que le salarié percevra une part de salaire variable, d’un montant déterminé, en fonction de la réalisation d’objectifs qui lui seront précisés, mais volontairement ou non, l’employeur néglige cette obligation, et ne précise ni les objectifs, ni les modalités de calcul, ni la période de référence.

Il a été jugé que le salarié n’avait pas à supporter ce manquement aux prévisions contractuelles, et en conséquence, que la rémunération prévue en cas d’atteinte des objectifs mentionnée au contrat devait lui être payée intégralement, ce qui constitue une sévère sanction à l’adresse de l’employeur négligeant (Cass. soc. 10 juillet 2013, n° 12-17921).

A quel moment les objectifs doivent-ils être communiqués au salarié ?

Par ailleurs, il est acquis que les objectifs relèvent du pouvoir de direction de l’employeur, ce dont il résulte que celui-ci peut, seul, procéder à leur détermination. Pour autant, cette affirmation est encadrée par certaines limites.

En effet, lorsque l’employeur entend modifier les objectifs du salarié, cette modification n’est licite que si ceux-ci sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (Cass. soc. 2 mars 2011 n° 08-44977).

En sorte qu’un employeur ne pourrait valablement assigner à un salarié des objectifs tellement ambitieux qu’ils ne puissent être atteints, et qu’il doit être tenu compte des réalités du marché. Cette jurisprudence impose également à l’employeur d’informer l’intéressé sur les objectifs à réaliser en début d’exercice, ce qui vise à l’empêcher de les modifier à sa convenance en cours d’année.

Quid quand l’employeur s’abstient du paiement de la prime sur objectifs au cours d’une année ?

Reste à envisager la situation dans laquelle le contrat de travail prévoit expressément, au titre de la rémunération variable, que le salarié doit bénéficier d’une prime sur objectifs, mais que celle-ci ne lui est pas payée au cours d’une année, alors qu’elle l’avait été les années précédentes.

En cas de litige, il incombe au juge de déterminer la rémunération en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l’objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n’a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures (Cass. soc. 4 juin 2009, n° 07-43198).

Ainsi, le salarié est fondé à obtenir le paiement de la prime qui lui a été versée les années précédentes.

La preuve de l’atteinte des objectifs

Sur le plan probatoire, le contentieux relatif au paiement des objectifs se heurte parfois à une difficulté, notamment lorsque l’employeur allègue, pour s’y soustraire, que les objectifs n’ont pas été atteints, alors qu’il détient seul les éléments qui permettent de juger de cette appréciation.

Il est en effet des cas où le salarié n’est pas nécessairement rendu destinataire des chiffres déterminants le paiement d’une prime sur objectifs, et qu’il doit donc s’en remettre aux informations qui lui sont communiquées par l’entreprise, ce qui biaise considérablement le débat.

La Cour de cassation y répond que lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire (Cass. soc. 30 mai 2013, n° 12-16096).

Il appartient donc à l’employeur de communiquer au salarié les données chiffrées et les documents sur lesquels il s’appuie, en toute transparence, afin que leur véracité puisse être contrôlée, et le cas échéant, contestée.

Enfin, lorsque le contrat de travail stipule que la rémunération variable du salarié dépend d’objectifs fixés annuellement par l’employeur, mais que ce dernier s’abstient une ou plusieurs années de fixer des objectifs, privant ainsi l’intéressé de la rémunération à laquelle il prétendait.

Un tel manquement de l’employeur justifie la prise d’acte par le salarié et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc 29 juin 2011, n° 09-65710).

Le remboursement des frais professionnels engagés par le salarié
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