Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

La fixation des objectifs, une obligation contractuelle

La prime sur objectifs constitue souvent un complément de rémunération important pour le salarié qui en bénéficie.

C’est le contrat de travail qui en détermine habituellement le principe et le montant, les modalités étant renvoyées à un avenant précisant les objectifs à atteindre selon une périodicité définie (annuelle, la plupart du temps), un nouvel avenant étant établi lorsque intervient une modification.

Ce bel édifice nécessite cependant que l’employeur joue le jeu… et qu’il fixe réellement des objectifs au salarié, étant rappelé que ceux-ci doivent être réalisables, de sorte qu’ils tiennent compte autant du marché que du contexte économique, et donnés en début d’exercice, et non au gré du vent en milieu d’année, de crainte que les règles soient alors biaisées.

Il arrive néanmoins qu’en dépit des prévisions contractuelles, l’employeur se montre défaillant et néglige d’assigner au salarié des objectifs, le privant ainsi d’un complément de rémunération auquel il pouvait légitimement aspirer.

On ne saurait que trop conseiller aux salariés concernés par une telle situation de formaliser par écrit ce manquement de l’employeur en lui rappelant le respect de ses obligations, par mail dans un premier temps, et à défaut de réaction positive de sa part, par lettre recommandée.

Mais que se passe-t-il si la négligence de l’employeur perdure ?

Il a été jugé depuis longtemps que cette circonstance constituait un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifiait sa rupture aux torts de l’employeur (dernièrement, Cass. Soc. 25 nov. 2020 n° 19-17246).

Le Code du travail dispose en effet que le contrat de travail de travail est exécuté de bonne foi (article L 1222-1), ce qui impose a minima que les parties en respectent les termes, étant en outre observé que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits (article 1103 du Code civil).fixation annuelle des objectifs par l'employeur

En cas de litige, il appartient à la juridiction prud’homale de déterminer la rémunération due au salarié « en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes », selon une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc. 22 fév. 2000 n° 97-43465).

Il a ainsi pu être jugé, qu’étaient inopposables à un salarié les objectifs qui lui avaient été communiqués très tardivement et qui n’étaient pas complètement arrêtés le 29 novembre, alors qu’ils étaient censés lui être communiqués avant le 31 mai de chaque année, de sorte qu’il était ainsi fondé à obtenir l’intégralité du bonus cible maximum prévu par le contrat de travail (Cass. Soc. 25 nov. 2020 n° 19-17246).

Dans une autre affaire, il a été jugé que, faute pour l’employeur d’avoir précisé au salarié en début d’exercice les objectifs à réaliser pour les années 2014, 2015 et 2016, le montant maximum prévu pour la part variable visée dans le contrat de travail devait être payée intégralement à l’intéressé (Cass. Soc. 30 juin 2021 n° 19-25519).

A défaut de fixation des objectifs, la rémunération variable doit être payée intégralement

Cette solution, qui a le mérite de la clarté, a été énoncée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Le contrat de travail d’un salarié prévoyait qu’en complément de sa rémunération annuelle brute fixe, il percevrait sur la base d’objectifs fixés par sa hiérarchie, une rémunération annuelle brute d’un montant de 21 000 euros pour des objectifs atteints à 100 %, ce montant pouvant être minoré à hauteur de la réalisation effective de l’objectif ou majoré selon les dispositions de la feuille d’objectifs.

Or l’employeur n’avait pas fixé d’objectifs à réaliser pendant plusieurs années.

En conséquence :

Lorsque la rémunération variable dépend d’objectifs définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, à défaut de fixation desdits objectifs, la rémunération variable doit être payée intégralement comme s’il avait réalisé ses objectifs (Cass. soc. 7 juin 2023 n° 21-23232, Cass. soc. 31 janv. 2024 n° 22-22709).

Manquement contractuel de l’employeur d’engager chaque année une concertation avec le salarié

Une dernière décision retient l’attention, reprochant à l’employeur d’avoir manqué à son obligation contractuelle d’engager chaque année une concertation avec le salarié sur les objectifs

Le contrat de travail comportait un article libellé ainsi : La rémunération de Monsieur X sera de X euros répartis sur douze mois, auxquels s’ajoute une rémunération variable annuelle de quinze mille (15 000) euros indexée en fonction de ses objectifs de vente à atteindre… Compte tenu du démarrage d’activité de Monsieur X en avril 2013, les objectifs de vente pour l’année 2013 seront établis au début du second semestre et donneront droit à une rémunération variable de dix mille (10 000) euros.

Or, en dépit de ces stipulations, l’employeur n’avait jamais fixé d’objectifs annuels au salarié, le privant ainsi d’une part importante de sa rémunération.

Mais aucune année précédente ne pouvait servir de référence pour déterminer le montant à payer…

Le Juge prud’homal l’avait en conséquence condamné à payer à l’intéressé l’intégralité de la prime sur objectifs sur les trois années antérieures.

Il importe à cet égard de rappeler que l’action en paiement de salaire se prescrit par trois ans (article L 3245-1 du Code du travail).

La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve cette solution et considère que :

L’employeur avait manqué à son obligation contractuelle d’engager chaque année une concertation avec le salarié en vue de fixer les objectifs dont dépendait la partie variable de la rémunération, de sorte que la rémunération variable contractuellement prévue devait être versée intégralement pour chaque exercice (Cass. Soc. 4 nov. 2021 n° 19-21005).

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