Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Des conditions de travail affectant l’état de santé des salariés
Les conditions de travail des salariés dans l’entreprise auraient-elles tendance à se dégrader ces dernières années ?
Surcharge de travail, pression exercée sur les salariés avec des objectifs sans cesse plus difficiles à atteindre, des délais toujours plus courts, un management brutal….etc…les sujets à l’origine d’une souffrance au travail se multiplient.
Ces situations sont à mettre en parallèle avec une étude parue en avril 2025 sur « l’absentéisme, rapport au travail et engagement, tendances 2025 », qui permet d’établir un rapprochement entre l’absentéisme des salariés et la dégradation de leurs conditions de travail.
Celle-ci révèle que le taux d’absentéisme dans les entreprises était de 4,84% en 2024, étant précisé que les arrêts de plus de 90 jours constituent plus de la moitié de cet absentéisme (taux de 2,63 %).
La durée moyenne des arrêts est en constante augmentation depuis le Covid et se situe désormais à 21,5 jours.
Il importe de relever que l’absentéisme des cadres augmente (2,29% en 2024, contre 2,26% en 2023), contrairement à celui des salariés relevant des autres catégories.
Les principales causes invoquées à l’origine de ces arrêts sont, par ordre d’importance : les maladies ordinaires ou saisonnières, suivies par la fatigue et les risques psycho-sociaux.
Ces deux dernières causes ne cessent de progresser, comme le démontrent les précédentes études, ce qui révèle en creux un mal être grandissant des salariés.
L’obligation de sécurité s’impose à l’employeur, tenu de prendre sans délai des mesures effectives pour faire cesser une situation de souffrance au travail
On le sait, le Code du travail comporte des dispositions imposant à l’employeur, non seulement de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, mais également de mettre en œuvre les mesures pour éviter les risques et « les combattre à la source » (articles L 4121-1 et L 4121-2).
Sur le fondement de cette obligation de sécurité, la jurisprudence a énoncé que l’employeur doit justifier avoir pris toutes les mesures de prévention afin d’assurer son respect dans l’entreprise.
De sorte que l’employeur, qui est informé par un salarié d’une situation de souffrance au travail ou de harcèlement moral, engage sa responsabilité s’il n’agit pas immédiatement pour la faire cesser.
On ne saurait donc que trop insister sur la nécessité pour les salariés victimes de souffrance au travail ou de harcèlement moral de la part d’un responsable hiérarchique ou d’un collègue d’en informer par écrit l’employeur ou le responsable des ressources humaines.
Les collègues du salarié, qui peuvent aussi être à l’origine de ces situations, ne sont pas non plus exempts de responsabilité, et doivent également prendre soin de la santé et de la sécurité des autres personnes concernées par leurs actes ou leurs omissions au travail (article L 4122-1 du Code du travail).
Management à l’origine d’une souffrance au travail et obligations de l’employeur
Le harcèlement moral est trop souvent la manifestation la plus évidente de la souffrance au travail.
La Cour de cassation a récemment encore mis en exergue l’exigence impérieuse qui relève de l’employeur :
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et faire cesser notamment les risques liés au harcèlement moral.
Dans cette affaire, plusieurs salariés se plaignaient d’un manager occupant une position hiérarchique élevée dans l’entreprise, qui « avait adopté un comportement excessivement autoritaire, dénué ou manquant d’empathie, rigide et rugueux ».
Ils lui reprochaient de dévaloriser et d’exercer une pression importante sur certains salariés dont il n’était pas satisfait, voire de les « casser » psychologiquement, ce management inadapté étant à l’origine d’une souffrance au travail pour près de la moitié des salariés de l’établissement.
Son comportement avait été dénoncé par le médecin du travail, ayant recueilli les plaintes de nombreux salariés.
L’auteur de ces agissements avait été licencié pour faute grave, après un premier avertissement, qui ne l’avait manifestement pas empêché de continuer à sévir.
Pour sa défense, l’intéressé soutenait que l’employeur avait montré une attitude ambiguë, en pratiquant une intervention minimaliste pour mettre un terme à ses agissements, ce qui laissait à supposer une certaine complaisance de sa part.
La Cour de cassation valide son licenciement pour faute grave (Cass. Soc. 6 mai 2025 n° 23-14492).
Elle relève que :
les méthodes de management du salarié avaient continué à causer une situation de souffrance au travail, dénoncée notamment par certains salariés et le médecin du travail, ce qui était de nature, quelle qu’ait pu être l’attitude de l’employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
Méthodes de gestion causant un mal être et une souffrance au travail des salariés
Ici encore, le licenciement pour faute grave de la salariée qui appliquait une méthode de gestion par la terreur est justifié.
Il s’agissait en l’occurrence de la directrice d’un EHPAD.
Trente-cinq salariés sur soixante avaient signé une lettre des représentants du personnel dénonçant ses méthodes de gestion ayant causé la démission d’au moins deux salariées, le placement en arrêt de travail d’une autre, ainsi qu’un mal être et une souffrance de la majorité du personnel.
Trois salariées faisaient également état de faits de harcèlement moral à leur encontre.
La Cour de cassation recadre la Cour d’appel, qui avait considéré que les décisions de la directrice ne pouvaient être qualifiées de harcèlement moral.
Elle juge au contraire que :
La pratique par la salariée d’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés, était de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise (Cass. Soc. 14 fév. 2024 n° 22-14385).
Quelle solution pour le salarié victime de souffrance au travail ?
Ainsi que nous l’avons évoqué, il est nécessaire en premier lieu d’informer l’employeur de cette situation afin qu’il ne puisse prétendre qu’il l’ignorait.
Les obligations légales que nous avons rappelées s’appliquent sans contestation possible et exigent une réaction immédiate de sa part, qu’il exécutera, ou pas, avec une diligence qui en dira long sur sa volonté réelle de les mettre en œuvre.
Il est également important que le salarié prenne rendez-vous avec la médecine du travail afin de lui exposer les faits dont il est victime et leur conséquence sur son état de santé.
Le médecin du travail peut proposer des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail (article L 4624-3 du Code du travail).
Ses préconisations devront être suivies par l’employeur, son abstention caractérisant un manquement à son obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc. 27 sept. 2017 n° 15-28605).
Si l’employeur a réagi rapidement et de bonne foi pour faire cesser les agissements à l’origine de la souffrance au travail du salarié, les espoirs sont permis et la relation de travail pourra se poursuivre.
Mais l’expérience démontre qu’en pratique, cette probabilité est malheureusement faible.
La seule échappatoire sera alors une rupture du contrat de travail.
A défaut de départ négocié, la solution la plus efficace sera de se rapprocher du médecin du travail afin qu’il rende un avis d’inaptitude.
Selon son appréciation de l’état du salarié, cet avis prévoira, ou pas, une possibilité de reclassement dans l’entreprise et le cas échéant, dans le groupe.
Dernier point à ne pas négliger : lorsque le salarié a été en arrêt maladie pendant une certaine durée avant que le médecin du travail rende cet avis d’inaptitude, il lui est conseillé de faire une demande de reconnaissance de maladie professionnelle.
Cette démarche, effectuée auprès de la Caisse d’assurance maladie, établira un lien entre sa maladie et le caractère professionnel de ses causes.
Outre l’avantage qu’elle procure sur le montant de l’indemnité de licenciement, cette reconnaissance pourra être utile en cas de contestation de la rupture du contrat de travail devant la juridiction prud’homale, afin d’étayer le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité.