Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

Licenciement pour inaptitude et responsabilité de l’employeur

Le licenciement d’un salarié pour inaptitude (d’origine professionnelle ou non) met un terme à une période de suspension du contrat de travail généralement assez longue et constitue l’aboutissement d’une procédure imposant à l’employeur le respect de plusieurs exigences légales.

L’absence de respect de ces exigences, comme leur méconnaissance, peuvent permettre au salarié licencié pour inaptitude d’obtenir réparation de son préjudice devant la juridiction prud’homale.

Car si le licenciement pour inaptitude est fréquemment l’épilogue d’une situation de souffrance au travail, au sens large, l’employeur n’est pas toujours exempt de responsabilité dans l’élément causal à l’origine de l’inaptitude.

Nombre de licenciements pour inaptitude font en effet suite à un burn-out, un harcèlement, une surcharge de travail…. Auxquels la réaction de l’employeur était soit inexistante, soit inappropriée.

La procédure de licenciement pour inaptitude

L’avis d’inaptitude est établi par le médecin du travail au terme d’un seul examen médical du salarié, parfois précédé d’une visite médicale de pré-reprise si le salarié ou l’employeur le souhaitent (article R 4624-29 du Code du travail).

Cet avis consiste soit à déclarer le salarié inapte au poste qu’il occupait précédemment, en précisant d’éventuelles restrictions.

L’employeur dispose alors d’un délai d’un mois à compter de cet avis pour lui proposer « un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ».

Cette recherche de reclassement doit être loyale et sérieuse.

Étant précisé que le salarié est en droit de refuser les propositions de poste de reclassement qui lui seraient faites.

En outre, au vu de l’état de santé du salarié, le médecin du travail peut également le déclarer inapte à tout poste dans l’entreprise.

Son avis mentionne alors expressément que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Dans ce cas, l’employeur peut engager une procédure de licenciement sans autre formalité et sans plus attendre, il n’est pas tenu de procéder à une recherche de reclassement, ni de consulter les représentants du personnel.

Un examen attentif de l’avis d’inaptitude s’impose au regard de l’obligation de reclassement

Deux décisions apportent un éclairage intéressant sur la rédaction des avis d’inaptitude et sur les obligations qui en découlent pour l’employeur, sous peine d’invalidation du licenciement.

Dans une première affaire, l’avis d’inaptitude était rédigé ainsi : « Inapte. Étude de poste (…) Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé »

L’employeur, qui appartenait à un groupe, avait licencié le salarié immédiatement.

Dans un arrêt très pédagogique, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que « lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur n’est pas tenu de rechercher un reclassement ».

Mais en l’espèce, l’avis d’inaptitude mentionnait que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

L’employeur qui n’avait pas effectué de recherche au sein des autres entreprises du groupe est donc sanctionné.

« L’employeur n’était pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel et qu’il avait ainsi manqué à son obligation de reclassement » (Cass. Soc. 13 sept. 2023 n° 22-12970).

Dans la seconde affaire, le médecin du travail avait coché la case indiquant que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », et précisé que l’inaptitude faisait obstacle sur le site à tout reclassement dans un emploi.

Sur ces entrefaites, le salarié avait été licencié, l’employeur estimant pouvoir s’affranchir de toute recherche de reclassement.

Or, la Cour d’appel avait relevé que l’avis ne valait que pour le site situé en Mayenne, où il travaillait, et que l’employeur disposait d’autres établissements au sein desquels l’obligation de reclassement s’appliquait.

Cette solution est approuvée par la Cour régulatrice.

Elle énonce que « l’employeur n’était pas dispensé, par un avis d’inaptitude du médecin du travail limité à un seul site, de rechercher un reclassement hors de l’établissement auquel le salarié était affecté et avait ainsi manqué à son obligation de reclassement » (Cass. Soc. 13 déc. 2023 n° 22-19603).

Licenciement sans cause réelle et sérieuse (voire nulle) lorsque l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée

La jurisprudence considère en outre que si l’inaptitude du salarié est la conséquence d’un manquement préalable de l’employeur ayant failli à ses obligations, le licenciement est injustifié.

L’intéressé étant fondé à obtenir la réparation de son préjudice devant le Juge du contrat de travail.

C’est particulièrement le cas lorsque l’employeur a manqué à son obligation de sécurité.

Dans un arrêt intéressant, la Cour de cassation a jugé que le licenciement d’un salarié qui se plaignait de harcèlement moral, auquel l’employeur n’avait absolument pas réagi, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors même que les faits de harcèlement moral n’étaient pas caractérisés (Cass. Soc. 6 juill. 2022 n° 21-13387).

Il faut, mais il suffit, que l’employeur, que l’employeur ait été défaillant à son obligation de sécurité, ce qui avait été reconnu en l’espèce.

A plus forte raison, le salarié déclaré inapte à la suite de faits de harcèlement moral établis, auxquels l’employeur, bien qu’informé n’a pas réagi, dispose là d’une voie de recours.

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