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Avis d’inaptitude : le médecin du travail doit être consulté y compris pour une création de poste

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le rôle de prévention de la médecine du travail

Le médecin du travail est un acteur clé de la surveillance de la santé et de la sécurité des salariés au cours de leur relation contractuelle.

On sait qu’il joue en particulier un rôle déterminant dans la procédure d’inaptitude.

Mais le code du travail lui attribue aussi deux missions essentielles (article R 4623-1) :

  • participer à la prévention des risques professionnels et à la protection de la santé des salariés
  • décider, à titre préventif, du suivi individuel de l’état de santé des salariés

Il doit donc exercer sa vigilance lorsqu’il est contacté par un salarié qui l’informe d’une situation affectant sa santé, physique ou mentale et réagir pour le protéger.

Cette exigence résulte de ses obligations légales : lorsqu’il constate la présence d’un risque pour la santé des salariés, il doit proposer, par un écrit motivé et circonstancié, des mesures visant à la préserver (article L 4624-9).

En amont de la procédure d’inaptitude

Le médecin du travail exerce son action en amont de cette procédure, ayant la possibilité de faire des préconisations que l’employeur a l’obligation de suivre afin de maintenir, autant que faire se peut, le salarié dans son emploi.

Ainsi, l’article L 4624-1 du Code du travail dispose que :

« Tout salarié peut, lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude, solliciter une visite médicale dans l’objectif d’engager une démarche de maintien dans l’emploi ».

Dans ce cadre, Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du salarié (article L 4624-3 du Code du travail).

Ces préconisations, sont mentionnées dans l’avis écrit que rend le médecin du travail.

Elles lient l’employeur, qui est tenu de prendre en considération l’avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail (article L 4624-6 du Code du travail).

La jurisprudence retient en effet que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité et se conformer aux préconisations du médecin du travail (Cass. Soc. 23 sept. 2009 n° 08-42629).

La méconnaissance de ces préconisations par l’employeur constitue une faute, en exécutant de façon déloyale le contrat de travail, dont le salarié est fondé à obtenir réparation.

Avis d’inaptitude et proposition de poste

Avant de rendre un éventuel avis d’inaptitude, le médecin du travail, qui peut désormais être assisté ou substitué par un infirmier, doit procéder à une étude de poste.

Ce n’est qu’après qu’il l’ait réalisée, et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, qu’il peut déclarer l’intéressé inapte à son poste, après avoir fait le constat qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’était envisageable (article L 4624-4 du Code du travail).

Le médecin du travail a donc un rôle très actif à jouer, d’une part en procédant à l’étude de poste, d’autre part en échangeant avec les intéressés, et plus spécifiquement avec le salarié dont l’état de santé doit guider la décision qu’il prendra.

Au terme de cette visite médicale, il peut en premier lieu considérer que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, celui-ci étant impossible, et en faire mention expresse dans son avis.Le médecin du travail émet un avis d'inaptitude

Dans ce cas, l’employeur procédera au licenciement pour inaptitude du salarié sans recherche de reclassement préalable.

Mais, deuxième solution, le médecin du travail peut estimer que le salarié est inapte à son poste, mais apte à un autre emploi « approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient » (articles L 1226-2 et L 1226-10 du Code du travail).

Il indique en conséquence dans son avis les éventuelles restrictions, lorsqu’il en existent, sachant que l’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé par le salarié, selon les termes du Code du travail.

A la suite de cet avis, l’employeur doit rechercher de manière loyale et sérieuse un emploi dans l’entreprise, et s’il y a lieu le groupe, qui soit conforme aux préconisations du médecin du travail.

Le médecin du travail doit être consulté par l’employeur, y compris pour une création de poste dans le cadre d’un reclassement

C’est ce que vient de souligner une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Un salarié, plombier-chauffagiste, a été victime d’un accident du travail et placé à plusieurs reprises en arrêt de travail.

A la suite du dernier de ces arrêts, il est déclaré inapte par le médecin du travail et une proposition de reclassement lui est faite par l’employeur, qu’il refuse.

Après avoir été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, il saisit la juridiction prud’homale d’une contestation de son licenciement.

L’employeur lui avait proposé un poste d’assistant administratif, qu’il avait créé pour lui pour répondre à son obligation de reclassement.

Mais ce poste impliquait la conduite d’un véhicule, dont les conditions et le périmètre n’étaient pas précisés, alors que le médecin du travail avait exclu un maintien long, sans toutefois exclure formellement les déplacements.

Refus de poste par le salarié, invoquant son incompatibilité avec son état de santé.

L’employeur n’avait pas pris soin de s’assurer auprès du médecin du travail de la compatibilité du poste qu’il proposait avec l’état de santé du salarié, ou des possibilités d’aménagements qui auraient pu lui être apportées.

Dans ces circonstances, la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a pu juger que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement de manière sérieuse et loyale, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Haute Juridiction énonce à cette occasion que :

lorsque l’employeur propose un poste au salarié déclaré inapte, il doit s’assurer de la compatibilité de ce poste aux préconisations du médecin du travail, le cas échéant en sollicitant l’avis de ce médecin, peu important que le poste ait été créé lors du reclassement du salarié (Cass. Soc. 21 juin 2023 n° 21-24279).

On retiendra donc que le médecin du travail doit être consulté par l’employeur pour une création de poste lors d’un reclassement, et plus largement lorsque réside une zone d’ombre dans l’avis qu’il a émis.

A défaut, le salarié disposera là d’un moyen utile de contestation de son licenciement.