Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Obligation de sécurité et prévention des risques
L’obligation de sécurité tient une place centrale dans la relation de travail et impose à l’employeur de s’y conformer en toutes circonstances, d’une part en mettant en œuvre des mesures préventives destinées à éviter les risques professionnels, d’autre part en agissant en amont pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, enfin, en prenant immédiatement des mesures effectives lorsqu’il est informé par un salarié d’une situation caractérisant un manquement à l’obligation de sécurité (articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail).
On ne badine pas avec le respect de cette obligation et la Chambre sociale de la Cour de cassation se montre, à juste titre, intransigeante à l’égard de l’employeur défaillant, cette défaillance étant considérée comme fautive.
Les Juges mettent particulièrement l’accent sur l’importance accordée à la prévention.
On se souvient notamment qu’un employeur, dont plusieurs salariés avaient été victimes dans l’entreprise de harcèlement moral résultant d’un mode de management par la terreur, auquel, tenu de prévenir les risques professionnels, il n’avait pas cru devoir réagir, a été condamné à indemniser ces salariés à double titre.
Les victimes de ces agissements avaient en effet obtenu réparation du harcèlement moral qu’ils avaient subi, mais également du manquement de l’employeur à son obligation de prévenir les risques professionnels (Cass. Soc. 6 déc. 2017 n° 16-10885).
Inaptitude faisant suite à un manquement de l’employeur
Dans la continuité de cette jurisprudence, la Haute juridiction vient de juger que le licenciement pour inaptitude, d’un salarié en accident du travail, était sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il est démontré que cette inaptitude était consécutive à un manquement de l’employeur, qui l’a provoquée, à son obligation de sécurité (Cass. Soc. 3 mai 2018 n° 17-10306 et 16-26850).
Si la solution n’est pas nouvelle (Cass. Soc. 26 sept. 2012, n° 11-14742), elle est réaffirmée ici avec force.
L’inaptitude, rappelons-le, procède du constat, établi par le médecin du travail, que le salarié n’est pas en capacité de reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, pour des raisons tenant à son état de santé.
L’inaptitude est soit d’origine professionnelle (accident du travail, maladie professionnelle), soit d’origine non professionnelle.
L’affaire concernait une salariée ayant été victime d’un accident du travail et déclarée inapte à son poste par le médecin du travail au terme d’un examen unique dans lequel il avait mentionné l’existence d’un danger immédiat, comme le Code du travail le lui permet.
Elle avait été licenciée pour inaptitude, après que l’employeur ait été dans l’impossibilité de la reclasser.
Une distinction entre les juridictions compétentes
Ce litige pouvait relever de deux juridictions distinctes, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, appréciant l’existence, ou non, d’une faute inexcusable de l’employeur, et le Conseil de Prud’hommes, se prononçant sur la rupture du contrat de travail.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt à valeur de principe, délimite en premier lieu la compétence de chacune de ces juridictions et tranche ainsi un sujet qui faisait débat.
L’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail, qu’il soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale.
La salariée peut obtenir une majoration de rente, ou d’indemnité en capital, si elle établit que l’accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur ayant violé l’obligation de sécurité (articles L 452-1 et L 452-2 du Code de la sécurité sociale).
Par ailleurs, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, la Cour régulatrice considère que le licenciement pour inaptitude de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse, dès lors qu’elle avait démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’avait provoquée.
La salariée peut donc au surplus percevoir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Quel est le délai pour agir ?
Une salariée est en arrêt de travail à compter du 20 février 2013, puis licenciée pour inaptitude par lettre du 23 décembre 2015.
Elle saisit le Conseil de Prud’hommes de la contestation de son licenciement le 18 mai 2016.
L’employeur lui oppose la prescription de sa saisine, affirmant que l’intéressée avait nécessairement connaissance des manquements à l’obligation de sécurité à la date de son arrêt de travail, le 20 février 2013, et que ceux-ci se prescrivaient par deux ans.
Il soutenait en conséquence que les faits dont se prévalaient la salariée, portant sur l’exécution du contrat de travail, étaient prescrits depuis le 20 février 2015.
A tort, lui répond la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui énonce que le point de départ du délai de prescription de l’action en contestation du licenciement pour inaptitude d’un salarié est la date de notification de ce licenciement (Cass.soc. 24 avril 2024 n° 22-19401).
L’action de la salariée, licenciée le 23 décembre 2015, et ayant saisi la juridiction prud’homale le 18 mai 2016, était donc parfaitement recevable.