Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
De l’utilité d’une lecture attentive de l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail
Ce n’est un secret pour personne, et en droit peut-être plus qu’ailleurs, les mots ont un sens !
Tel parait être l’enseignement délivré par cette décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation, où un employeur s’était lourdement mépris sur le sens d’un avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail.
Celui-ci après avoir examiné un salarié en arrêt de travail depuis plusieurs mois, avait déclaré que tout maintien de l’intéressé dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.
Que fallait-il donc comprendre par cet avis ?
Sans doute que le climat délétère qui régnait dans l’entreprise n’était pas propice à ce que le salarié y termine sa carrière…
Dans une interprétation hâtive, et laissant poindre son peu d’empressement à satisfaire à ses obligations légales, l’employeur avait considéré qu’il le déliait de l’obligation de reclassement à laquelle il était tenu.
L’obligation de reclassement : dans quel cas l’employeur en est-il dispensé ?
Lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte à son emploi, que cette inaptitude soit consécutive à une maladie d’origine professionnelle, à un accident du travail ou à une maladie d’origine non professionnelle, le Code du travail impose à l’employeur une obligation de reclassement.
Celle-ci met à sa charge l’obligation de proposer au salarié un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient, le cas échéant, situées sur le territoire national.
Il incombe à l’employeur de justifier s’être livré à des recherches sérieuses et loyales dans l’entreprise et/ou le groupe, conformes aux préconisations du médecin du travail, afin de tenter de sauver l’emploi du salarié.
Cette exigence ne cède que dans les cas limités suivants :
D’une part, il peut arriver que les recherches réalisées par l’employeur se soient avérées vaines et qu’il n’y ait véritablement aucun poste à proposer à l’intéressé.
D’autre part, c’est parfois le salarié lui-même qui refuse l’emploi qui lui est proposé, ce qu’il est parfaitement en droit de faire.
Enfin, le médecin du travail peut également faire obstacle au reclassement de l’intéressé lorsqu’il estime que son état de santé ne s’y prête pas.
C’est le cas dans deux situations particulières, il en fait alors expressément mention dans son avis d’inaptitude.
Les indications qu’il porte se résument (selon le cas) à ces deux phrases : « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Lorsque le médecin du travail indique que « tout maintien du salarié dans un emploi dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé », l’employeur reste tenu à son obligation de reclassement
Un salarié qui est en arrêt de travail depuis plus de deux ans pour une maladie d’origine non professionnelle passe une visite médicale de reprise.
Le médecin du travail rend un avis d’inaptitude en ces termes : « Inapte. Étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l’employeur réalisés le 16 août 2017. Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».
L’employeur croit pouvoir s’affranchir de son obligation de reclassement et licencie le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement un mois plus tard.
Le salarié considère que l’employeur ayant méconnu son obligation de reclassement, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel lui donne raison.
Elle estime que l’avis du médecin du travail n’impliquait pas l’éloignement du salarié de toute situation de travail, de sorte que l’employeur n’était pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel.
L’approbation de la Chambre sociale de la Cour de cassation
La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur et approuve les juges d’appel pour avoir retenu qu’il avait bien manqué à son obligation de reclassement.
Elle relève que l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionnait que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à santé (Cass. Soc. 13 sept. 2023 n° 22-12970).
La nuance est de taille, le médecin du travail a manifestement considéré que le salarié avait perdu toute confiance en son employeur et que rester dans cette entreprise n’était donc pas une solution acceptable pour lui.
Pour autant, il n’excluait pas que le salarié soit en capacité de poursuivre une activité professionnelle et qu’un emploi dans une autre entreprise du groupe (puisque tel semblait être le cas) puisse être envisageable.
L’absence d’effort de l’employeur se solde logiquement par l’invalidation du licenciement du salarié et sa condamnation au paiement de dommages intérêts.