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Les cadres ont-ils droit aux heures supplémentaires ?

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Les cadres bénéficient bien du paiement des heures supplémentaires

Une idée très répandue chez les cadres veut qu’ils n’aient pas droit au paiement des heures supplémentaires qu’ils exécutent.

Cette affirmation, que leur auteur justifie souvent par un certain niveau de responsabilité et de rémunération, est FAUSSE.

L’appartenance à la catégorie « cadre » n’exonère pas, en tant que tel, l’employeur du paiement des heures supplémentaires que le cadre a accompli au-delà de la durée hebdomadaire, légale ou conventionnelle, de travail.

S’il travaille plus de 35 heures par semaine, et sauf à ce qu’une convention collective prévoie un taux différent, les huit premières heures qu’il réalise donnent lieu à une majoration de salaire de 25 %, cette majoration étant portée à 50 % pour les heures suivantes (article L 3121-22 du Code du travail).

Le Code du travail n’établit pas de distinction pour le paiement des heures supplémentaires, selon qu’un salarié est cadre ou non cadre.

Seule exception : les cadres dirigeants

Il n’existe qu’une exception à cette règle : seuls les « cadres dirigeants » n’ont pas droit au paiement des heures supplémentaires.

Dans leur cas spécifiquement, la loi dispose qu’ils ne sont pas soumis à la durée légale du travail (article L 3111-2 du Code du travail).

Mais ce statut restrictif est réservé aux salariés qui participent de manière effective à la direction de l’entreprise et dont la rémunération se situe dans les niveaux les plus élevés de l’entreprise.

Lorsque ces conditions ne sont pas réunies et que l’employeur a accordé cette qualification, socialement valorisante, à un salarié dépourvu de ces attributs, celui-ci est évidemment fondé à le remettre en cause… et à demander le paiement des heures supplémentaires qu’il a exécutées.

La martingale trouvée par l’employeur pour contourner cette exigence : le forfait-jours

Il est fréquent dans les entreprises que les cadres n’aient pas l’œil rivé sur la pendule et que leur temps de travail excède, parfois très largement, la durée légale du travail.

Conscients de cette réalité, les employeurs privilégient donc à leur égard l’application de conventions de forfait en jours sur l’année, qui est souvent à leur avantage.

Une étude déjà ancienne (2015) établissait que 47 % des cadres étaient en forfait jours dans les entreprises.

L'annulation du forfait jours d'un cadre lui permet de réclamer le paiement des heures supplémentaires qu'il a exécutéesCette organisation du temps de travail permet ainsi à l’employeur de se référer non pas à la durée hebdomadaire du travail, mais à une durée en jours (218 au maximum) sur l’année (article L 3121-64 du Code du travail).

En contrepartie d’horaires de travail qui peuvent être fluctuants, le salarié bénéficie de jours de repos supplémentaires.

Cependant, les employeurs qui avaient imaginé que l’application d’une convention de forfait annuel les mettaient à l’abri d’une demande de paiement d’heures supplémentaires risquent de déchanter.

Les conventions de forfait jours sont soumises à des exigences précises qui, lorsqu’elles font défaut, entrainent leur annulation… et un retour à la durée légale

Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, les causes d’annulation d’une convention de forfait-jours, qui se révèlent souvent dans le cadre d’une fin de contrat de travail conflictuelle, sont multiples.

Une récente décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation le rappelle avec constance :

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Cet accord doit ainsi prévoir que l’employeur puisse remédier en temps utile à une charge de travail du salarié éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Il est également exigé de l’employeur qu’il assure un suivi effectif et régulier de la charge de travail du salarié, de sorte qu’il garantisse que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé (Cass. Soc. 24 avril 2024 n° 22-20539).

Ces exigences déterminantes sont dictées par la protection de la sécurité et de la santé du salarié, à laquelle le droit du travail accorde une place prépondérante.

On rappellera enfin que bon nombre de forfaits jours sont annulés faute pour l’employeur d’avoir organisé un entretien annuel portant sur la charge de travail du salarié, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération (Cass. Soc. 10 janv. 2024 n° 22-13200).

Étant précisé que si ces sujets peuvent être abordés au cours de l’entretien annuel d’évaluation, ils doivent être traités réellement, l’employeur ne pouvant se contenter d’inscrire dans le compte-rendu de cette réunion une absence de remarque du salarié (Cass. Soc. 27 mars 2024 n° 22-17078).

En conséquence de la nullité de la convention de forfait en jours, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires.

La preuve de l’exécution des heures supplémentaires a fait l’objet d’un aménagement favorable aux salariés

Les principaux obstacles que les employeurs avaient érigés ont été levés par une évolution récente de la jurisprudence qui est plutôt favorable aux salariés, même si la résistance des conseils de prud’hommes reste encore difficile à vaincre.

Des mails tardifs, des messages échangés sur messagerie instantanée ou sur Whatsapp notamment peuvent être utilement produits pour justifier les heures supplémentaires réalisés par le salarié.

La seule exigence consiste à présenter des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

Enfin, il convient de préciser que le salarié dispose d’un délai de 3 ans précédant la rupture du contrat de travail pour demander, devant la juridiction prud’homale, le paiement des heures supplémentaires.