Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Le contexte
La jurisprudence sur la validité, ou plutôt la nullité, des forfaits en jours sur l’année offre une source de satisfaction récurrente aux défenseurs des salariés parfois fatigués d’essuyer des rebuffades et de voir les droits de leurs clients réduits comme peau de chagrin.
Avec une régularité réjouissante en effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que la protection de la santé et de la sécurité des salariés prime toute autre considération et met à la charge de l’employeur des obligations strictes afin d’en assurer le respect, sanctionnant avec intransigeance toute transgression.
Le mécanisme du forfait en jours sur l’année est bien connu, il permet au salarié auquel les fonctions s’y prêtent (essentiellement Cadres ou salariés disposant d’autonomie dans l’organisation de leur travail) d’établir leur durée de travail sans être soumis à un horaire collectif, non de façon hebdomadaire mais annuelle, dans la limite de 218 jours par an, et de bénéficier en contrepartie d’un nombre de jours de repos déterminé.
Si les salariés y gagnent des jours de RTT, certains employeurs, de leur côté, ne sont pas à l’abri de la tentation de confondre forfait en jours sur l’année avec travail sans horaire ni contrainte, où le salarié doit être disponible en permanence, éventuellement soirs et week-ends compris.
L’heure des comptes vient souvent lors de la rupture du contrat de travail, en particulier lorsqu’elle est conflictuelle.
Au salarié, qui a saisi la juridiction prud’homale pour demander le paiement d’heures supplémentaires, l’employeur oppose la validité du forfait jours.
La validité du forfait jours nécessite le respect de certaines exigences
Les conventions de forfaits en jours sur l’année sont soumises à des conditions de forme et de fond.
La première condition repose sur la conclusion écrite d’une convention individuelle de forfait entre l’employeur et le salarié, conformément aux prévisions de l’article L 3121-55 du Code du travail.
A défaut, la chambre sociale de la Cour de cassation juge nulle la convention de forfait en jours sur l’année, ouvrant droit au paiement d’heures supplémentaires, lorsque le salarié produit des éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande (Cass. Soc. 19 juin 2019 n° 17-31523).
La seconde condition tient à l’accord collectif sur lequel cette convention individuelle est articulée.
Rappelant avec force et constance que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles, la Haute juridiction affirme que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ».
C’est ainsi qu’elle a considéré que la convention collective des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs ne remplissait pas cette condition, faute de se limiter à prévoir un entretien professionnel annuel portant sur l’amplitude de la journée d’activité et la charge de travail, s’abstenant d’organiser un suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable (Cass. Soc. 6 nov. 2019 n° 18-19752).
Obligation pour l’employeur de mettre en place un suivi effectif et régulier du temps de travail des salariés
La Cour régulatrice insiste donc sur la nécessité que l’employeur mette en place un suivi effectif et régulier du temps de travail des salariés en forfait jours, permettant de pallier en temps utile une durée de travail qui ne serait pas raisonnable.
Elle vient à nouveau de juger, pour les mêmes raisons, que l’accord relatif à l’application du temps de travail dans le secteur du bricolage (article 3, II) n’était pas conforme à cette exigence, de sorte que la convention de forfait en jours qui s’appuie sur cet accord doit être annulée, ouvrant droit pour le salarié qui s’en prévalait au paiement d’heures supplémentaires et d’indemnité de repos compensateur (Cass. Soc. 24 mars 2021 n° 19-1208).
Elle reproche en effet à cet accord de se contenter, pour les cadres autonomes soumis au forfait jours, de prévoir, d’une part, que le chef d’établissement veille à ce que la charge de travail des cadres concernés soit compatible avec la réduction du temps de travail, d’autre part, qu’ils bénéficient d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives et ne peuvent être occupés plus de six jours par semaine, et qu’il leur est accordé un repos hebdomadaire d’une durée de 35 heures consécutives.
Bel effort en effet que celui de reprendre des dispositions légales qui s’imposent en toutes circonstances à l’employeur !
L’accord n’instituant aucun suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable est donc illicite, les conventions individuelles qui s’y réfèrent sont entachées de nullité.
Il convient enfin de souligner, en cas de litige, qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au forfait-jours (Cass. Soc. 19 déc. 2018 n° 17-18725).