Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Intérêt pratique de la remise en cause de la qualité de cadre dirigeant
La qualification de cadre dirigeant relève d’une définition juridique précise et la référence qui y est faite dans le contrat de travail, en considération du poste occupé par le salarié, ne doit pas toujours faire illusion.
Dit autrement, un niveau élevé dans la hiérarchie de l’entreprise n’est pas suffisant, en tant que tel, pour qu’un salarié puisse être considéré comme cadre dirigeant.
L’article L 3111-2 du Code du travail dispose en effet que « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
A ces trois critères, qui sont cumulatifs, la jurisprudence en a ajouté un supplémentaire : le cadre dirigeant participe à la direction de l’entreprise (Cass. Soc. 26 nov. 2013 n° 12-21758).
La reconnaissance de cadre dirigeant a une importance pratique considérable pour l’employeur dans la mesure où le cadre dirigeant est exclu de l’application de la législation relative à la durée légale du travail et ne peut en conséquence prétendre aux avantages qui y sont attachés (heures supplémentaires, RTT, jours de repos…).
Ces salariés sont réputés habituellement ne pas compter leurs heures.
De sorte qu’en cas de litige faisant suite à un licenciement que le salarié conteste, la remise en cause de sa qualité de cadre dirigeant constitue un moyen supplémentaire à faire valoir, qui lui permet d’obtenir le paiement des nombreuses heures de travail excédant la durée légale (ou conventionnelle) qu’il a accomplies.
La jurisprudence se livre à l’examen des fonctions réellement exercées par le salarié, et les confronte aux critères légaux, pour déterminer si la qualité de cadre dirigeant lui est ou non applicable (Cass. Soc. 3 fév. 2021 n° 18-20812).
Critères excluant le statut de cadre dirigeant :
Quelques décisions récentes éclairent utilement sur la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
1-Absence d’autonomie du salarié
Un salarié occupait le poste de « managing director » de la division Investment banking d’une société de conseil internationale, son contrat de travail le désignant cadre dirigeant.
Après avoir été licencié, il demandait le paiement de ses heures supplémentaires, remettant en cause sa qualité de cadre dirigeant.
La Cour d’appel l’en avait débouté, considérant que le contrat de travail stipulait qu’au regard tant de sa rémunération que de l’importance de ses responsabilités, il entrait dans cette catégorie.
Elle relevait en outre qu’il occupait une fonction de première importance au sein de l’entreprise et réfutait que la circonstance qu’il remplisse des feuilles de temps révélait un manque d’autonomie car il s’agissait d’un nouvel outil de gestion des plannings et expertises.
Cette décision est censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, reprochant aux Juges d’appel d’avoir caractérisé que dans l’exercice de ses fonctions, le salarié était effectivement habilité à prendre des décisions de façon largement autonome, ce qui n’était manifestement pas le cas (Cass. Soc. 1er déc. 2021 n° 19-26264).
2-Pas d’indépendance dans l’organisation de son emploi du temps
Un directeur Général d’une association avait saisi la juridiction prud’homale après son départ en retraite, de diverses demandes, dont une, en paiement d’heures supplémentaires.
Demande rejetée par les Juges du fond, qui avaient retenu que l’importance de ses responsabilités impliquait une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et qu’il qui n’était pas soumis à des horaires de travail.
Elle avait cependant négligé qu’un avenant à son contrat de travail lui fixait une durée hebdomadaire de travail de 37,5 heures, ce qui révélait incontestablement qu’il ne disposait pas d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps, et n’était donc pas cadre dirigeant (Cass. Soc. 4 nov. 2021 n° 20-19165).
3– Nécessité que la rémunération du salarié se situe dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement
Un salarié exerçant les fonctions de Directeur des soins hospitalier dans un hôpital privé contestait la qualification de cadre dirigeant et demandait le paiement d’heures supplémentaires, de repos compensateur et d’astreinte.
Comme précédemment, la Cour d’appel avait estimé que les fonctions de l’intéressé impliquaient nécessairement une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et des prises de décision autonomes, qu’en outre ses bulletins de paie mentionnaient un coefficient de 712, soit 187 points au-dessus du premier coefficient de cadre supérieur, et enfin que sa fiche de poste indiquait qu’il exerçait des responsabilités importantes.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, là encore, n’est pas de cet avis, critiquant les Juges pour ne pas avoir recherché si la rémunération effectivement perçue par le salarié se situait dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués au sein de la société (Cass. Soc. 5 mai 2021 n° 19-22209).
4- Absence de pouvoir de décision et de l’autonomie requise
Après avoir conclu une rupture conventionnelle, le directeur d’exploitation de l’hôtel restaurant d’un « riveira golf » demande en justice le paiement des heures supplémentaires qu’il a réalisées et la condamnation de son employeur à des dommages intérêts pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos.
L’employeur lui oppose qu’il avait nécessairement le statut de cadre dirigeant, l’intéressé ayant reconnu bénéficier d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et percevoir un haut niveau de salaire.
Il ajoute en outre qu’il s’était vu confier la gestion du recrutement du personnel de l’hôtel, gérait le budget, signait les contrats…
Ces tâches ne suffisaient cependant pas à le qualifier de cadre dirigeant.
La Cour régulatrice retient qu’il convient d’examiner les fonctions réellement exercées par le salarié.
Ainsi, s’il bénéficiait du salaire le plus élevé de l’entreprise et disposait d’une indépendance certaine dans l’organisation de son emploi du temps, il ne disposait pas d’un quelconque pouvoir de décision, ni de l’autonomie d’un cadre dirigeant (Cass. soc. 13 avril 2022, n° 20-13817).
On observe donc que la réunion des critères légaux constitue une exigence forte soumise à un examen rigoureux de la Haute juridiction.