Hi, How Can We Help You?

Blog

Salarié inapte : charge de la preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement au sein d’un groupe

Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

La recherche de reclassement du salarié déclaré inapte : une obligation légale quelle que soit l’origine de l’inaptitude

Le Code du travail a prévu un dispositif protecteur du salarié déclaré inapte dans le but légitime de préserver son emploi.

Ce dispositif impose à l’employeur de rechercher activement et loyalement à le reclasser en lui proposant  le ou les postes disponibles dans l’entreprise, ou dans le groupe, après que le médecin du travail ait rendu son avis d’inaptitude.

Obligation lui est donc faite de rechercher « un autre emploi approprié aux capacités du salarié, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ».A l’employeur de prouver qu’il a respecté son obligation de reclassement

Cette obligation s’applique de façon indistincte, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle (accident du travail, maladie professionnelle), ou qu’elle soit d’origine non professionnelle (articles L 1226-2 et L 1226-10 du Code du travail).

Le régime étant désormais unifié depuis la loi Travail.

Dans sa recherche, l’employeur doit se conformer aux préconisations du médecin du travail, et notamment à ses éventuelles restrictions.

Précisons en outre que le dispositif est à ce point protecteur que le refus par le salarié de postes de reclassement n’implique pas à lui seul l’impossibilité pour l’employeur de le reclasser (Cass. Soc. 3 fév. 2021 n° 19-21658).

Quel est le (nouveau) périmètre du groupe de reclassement ?

L’employeur doit se livrer à une recherche loyale de reclassement au sein d’un groupe dont les contours ont été définis par le législateur selon les termes suivants :

La notion de groupe désigne l’ensemble, situé sur le territoire national, formé par une entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies par le Code du commerce (articles L 233-1, L 233-3 I et II, L 233-16).

A l’intérieur de ce périmètre, l’obligation s’applique aux entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

L’enchevêtrement des liens capitalistiques entre sociétés complexifie parfois les choses.

La notion de groupe de reclassement envisagée par le Code du travail, dans le cadre d’une inaptitude, est ainsi :

  • Celui où une société possède plus de la moitié du capital d’une autre société (article L 233-1 du Code du commerce) ;
  • groupe formé par une entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôleToute personne physique ou morale en contrôle une autre lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales d’une société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires (article L 233-3 I et II du Code de commerce) ;
  • Soit le contrôle exclusif d’une société sur une ou des autres résultant de la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote dans une autre entreprise,

Soit la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise.

Soit enfin, le droit d’exercer une influence dominante sur une entreprise en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires (article L 233-16 du Code de commerce)

Cette définition, adoptée par les ordonnances Macron de 2017, revient ainsi sur la jurisprudence antérieure beaucoup plus large, qui avait notamment pu retenir que l’obligation de reclassement s’appliquait à l’intérieur d’un groupement de franchisé (Cass. Soc. 24 juin 2020 n° 18-25433).

Dans une première décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation a retenu au contraire une définition très stricte du groupe de reclassement du salarié déclaré inapte résultant de ces nouvelles dispositions.

Elle considère notamment que l’influence notable exercée par une société dominante doit être distinguée du contrôle (Cass. Soc. 5 juill. 2023 n° 22-10158) ; ce qui promet des débats juridiques de haute voltige devant les juridictions prud’homales…

Preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement et office du juge

La Cour régulatrice a posé la règle suivante :

Si la preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement incombe à l’employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l’existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

En conséquence, il appartient à l’employeur de prouver qu’il a respecté son obligation de reclassement, le juge devant examiner l’ensemble des éléments produits par le salarié et l’employeur.

C’est ainsi qu’a été jugé invalide le licenciement d’un salarié dont l’employeur n’avait fourni que des informations parcellaires sur la détention du capital de sociétés dont le salarié alléguait qu’elles faisaient partie d’un groupe et au sein duquel la permutation du personnel était possible.

L’employeur est donc condamné pour ne pas avoir respecté son obligation de reclassement (Cass. Soc. 6 nov. 2024 n° 23-15368).

Illustration

Les faits de l’affaire étaient les suivants :

Un salarié déclaré inapte est licencié après que son l’employeur ait prétendu avoir effectué des recherches de reclassement qui se sont avérées infructueuses.

L’intéressé conteste son licenciement, affirmant que l’employeur avait volontairement limité ses recherches, bien que deux sociétés domiciliées et situées sur le même site formaient un groupe de reclassement.

La Cour d’appel, approuvée donc par la Cour de cassation, lui donne raison.

L’employeur avait en effet produit un document comptable établissant qu’il détenait 100%, via une holding, de « la société le Vaudome, elle-même détenue par la société Gilathelo Investissements à 18,51% et qu’il détenait 36,6% dans la société Maisons d’Histoire conjointement avec M. [G], actionnaire majoritaire à 54,4% ».

Elle relève ensuite qu’il avait choisi de ne pas fournir d’informations essentielles dans le cadre du débat judiciaire, s’abstenant notamment de produire un organigramme des différentes sociétés liées à la holding.

Elle constate enfin que les deux sociétés concernées étaient domiciliées sur le même site et effectuaient des chantiers en commun et que l’employeur n’établissait et ne soutenait pas que la permutation du personnel entre ces deux sociétés était impossible.

Il ne justifiait donc pas avoir satisfait à son obligation de reclassement dans un périmètre pertinent.