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Les limites au pouvoir de sanction de l’employeur pour des faits relevant de la vie privée du salarié

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Un motif tiré de la vie privée du salarié ne peut servir opportunément de prétexte pour sanctionner un salarié ayant commis des infractions au Code de la route.

Dans une nouvelle décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Cette énonciation s’applique, une nouvelle fois, à un salarié ayant commis des infractions au code de la route, pendant un temps relevant de sa vie personnelle, avec le véhicule que l’employeur mettait à sa disposition pour l’exercice de son activité professionnelle.

De nombreux arrêts ont déjà condamné le comportement d’employeurs ayant licencié un salarié pour faute grave au motif qu’il avait commis des écarts au Code de la route avec son véhicule professionnel.

Rappelons que le Code de la route responsabilise le salarié auteur d’infractions routières en faisant obligation à l’employeur d’indiquer à l’administration dans un délai de quarante-cinq jours l’identité et l’adresse du salarié qui conduisait le véhicule et avait commis une contravention (article L 121-6 du Code de la route).

Mais l’utilisation de ce motif par l’employeur pour rompre le contrat de travail d’un salarié pendant sa vie privée est sévèrement encadrée par la jurisprudence, comme l’illustre le présent arrêt.

Les contraventions commises pendant le temps de trajet ne peuvent justifier le licenciement du salarié

Un salarié, ayant 10 ans d’ancienneté et travaillant comme mécanicien sur des chantiers, est licencié pour faute grave.

L’employeur lui reprochant quatre infractions au code de la route commises pendant le trajet le conduisant à son lieu de travail ; il considérait que ces faits se rattachaient à la vie professionnelle du salarié et découlaient de son contrat de travail.

L’intéressait lui objectait avec pertinence que le temps de trajet n’étant pas du temps de travail effectif, l’argument de l’employeur ne pouvait valablement prospérer.

La Cour d’appel l’approuve, précisant que le salarié n’était pas à la disposition de l’employeur pendant son temps de trajet.

Elle ajoute que le véhicule n’avait subi aucun dommage, et conclut en relevant que le comportement du salarié n’avait eu aucune incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail en qualité de mécanicien.

La Chambre sociale de la Cour de cassation l’approuve, les infractions au code de la route ne pouvaient être regardées comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat, ni comme se rattacher à sa vie professionnelle.

De sorte que ces faits ressortaient de la vie personnelle du salarié et ne pouvaient justifier son licenciement disciplinaire (Cass. Soc. 4 oct. 2023 n° 21-25421).

Plus iconoclaste, un employeur ayant imaginé dicter la conduite à tenir d’un salarié sur les réseaux sociaux, dans le cadre de sa vie privée, subit la même rebuffade.

Un salarié ne peut pas davantage être sanctionné pour être intervenu de manière privée sur les réseaux sociaux, l’obligation de neutralité imposée par l’employeur étant inopérante

L’affaire concernait un journaliste vidéo employé par une agence de presse audiovisuelle, filiale de la société Associated Press.

Le salarié avait été licencié pour faute grave après que son employeur lui ait imputé un manquement à son obligation de loyauté.

Il se fondait sur un article du contrat de travail de l’intéressé faisant expressément référence à l’obligation de loyauté à laquelle il était soumis, ainsi que sur un document interne de l’entreprise intitulé « ligne de conduite des réseaux sociaux pour les employés d’Associated Press ».

Ce document rappelait que les salariés « ne devaient pas exprimer des opinions personnelles sur des problématiques controversées d’actualité ».utilisation par le salarié des réseaux sociaux

Il précisait que les salariés devaient « être avertis que les opinions qu’ils exprimaient pouvaient endommager la réputation d’AP en tant que source d’information impartiale et devaient se retenir d’exprimer leur perception d’un débat public controversé sur un forum public, pas davantage qu’ils devaient prendre part à des actions organisées en support d’une cause ou d’un mouvement ».

L’employeur reprochait donc à l’intéressé d’avoir méconnu ces deux fondements, ce qui justifiait d’après lui son congédiement pour faute grave.

Un rappel à l’ordre de la Cour de cassation sur les limites entre vie professionnelle et vie privée du salarié

La Cour d’appel avait validé le licenciement du salarié.

Elle avait retenu que le salarié, qui intervenait dans des discussions publiques sur les réseaux sociaux sur des sujets d’actualité controversés, avait violé l’obligation de neutralité à laquelle il était assujetti et qu’il avait abusé de sa liberté d’expression en incitant les internautes à participer à des manifestations dans ses commentaires publics.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cette décision.

Elle met à nouveau en exergue l’exigence qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Elle souligne que le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (article L 1321-3,2° du Code du travail).

Or, d’une part, l’engagement pris par le salarié au terme de son contrat de travail ne concernait que l’exercice de ses fonctions professionnelles.

En outre, le document intitulé « lignes de conduite des réseaux sociaux pour les employés AP », qui n’était ni un règlement intérieur, ni comme une note de service, imposait en conséquence le respect d’une procédure et d’une publicité particulières pour pouvoir être opposables aux salariés.

Une atteinte à la liberté d’expression du salarié

Par ailleurs, constatant une violation de la liberté d’expression du salarié, elle retient que son licenciement était injustifié (Cass. Soc. 20 sept. 2023 n° 21-18593).

La Cour d’appel aurait dû rechercher si la configuration privée du compte personnel Facebook que le salarié utilisait sous pseudonyme conférait à ses publications et à ses commentaires publiés sous pseudonyme sur des groupes publics le caractère d’une conversation de nature privée.

En effet, seules les personnes agréées par le salarié avaient pu accéder aux contenus diffusées sur son compte et l’identifier sous le pseudonyme avec lequel il commentait ou « likait » les publications diffusées sur des comptes ouverts au public.

Par ces deux décisions intéressantes, les limites du pouvoir de l’employeur sont rappelées et son intrusion dans la vie privée du salarié fermement condamnée.