Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

La particularité de l’itinérance

Certains salariés n’ont pas d’attache physique avec l’entreprise qui les emploie, la nature de leur activité professionnelle exigeant qu’elle se déploie en dehors de l’entreprise.

Cette activité peut nécessiter de nombreux déplacements pour se rendre d’un site à un autre, de sorte que ce temps de déplacement occupe une part importante de leur journée de travail.

Les déplacements compris en journée ne posent habituellement pas de difficulté, étant inclus comme temps de travail, en revanche, la question se pose de la rémunération du temps de trajet entre le premier et le dernier déplacement, du domicile du salarié au site du premier et du dernier client.

Le cadre légal

Le Code du travail pose pour règle que « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif ».

Il ajoute, « toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière » (article L 3121-4 du Code du travail).

En d’autres termes, ce temps de déplacement ne constitue pas du temps de travail effectif, il n’est donc pas pris en compte au titre de la durée de travail hebdomadaire du salarié, cependant s’il dépasse le temps de déplacement « normal » fixé entre le domicile du salarié et son lieu de travail « habituel », il ouvre droit à compensation.

Le texte dispose que la contrepartie prévue « est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur prise après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’il en existe ».

La jurisprudence a en outre eu l’occasion de préciser qu’en l’absence d’accord collectif ou d’engagement unilatéral de l’employeur, il appartient au juge de fixer le montant de la contrepartie due (Cass. Soc. 14 nov. 2012 n° 11-18571).

Une interprétation stricte

Les déplacements pour se rendre sur le lieu d’exécution du travail peuvent parfois être éloignés et chronophages, il ne s’agit à l’évidence pas d’un trajet d’agrément accompli par le salarié.

Dans ces circonstances, il a pu paraître légitime que des salariés considèrent qu’il s’agissait en réalité d’un temps de travail qui devait s’ajouter à la durée de travail hebdomadaire, justifiant un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies.

Une telle action était malheureusement vouée à l’échec.

Ainsi, un salarié ayant des journées de travail comportant des amplitudes très large produisait, dans le cadre d’un litige, des relevés de nuits d’hôtel et des notes de frais émanant de l’employeur, permettent d’établir la réalité de temps de trajet excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail habituel.Temps de déplacement entre le domicile et le lieu de travail

Il formait à ce titre une demande en paiement d’heures supplémentaires.

La chambre sociale de la Cour de cassation le renvoie, pour le débouter, à la rigueur du texte de l’article L 3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif et n’ouvre droit qu’à une contrepartie financière ou en repos s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail (Cass. Soc. 1er déc. 2016 n° 15-21609).

L’intéressé ne pouvait donc prétendre au paiement d’heures supplémentaires, dès lors que ce temps de déplacement ne constitue pas un temps de travail effectif !

D’autres décisions abondaient dans le même sens, estimant que le temps de déplacement ne pouvait être additionné au temps de travail horaire hebdomadaire, de sorte qu’il ne pouvait être pris en compte dans le calcul des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales,

Cette situation était injuste.

Une récente et heureuse évolution

Sous l’inspiration du droit de l’Union Européenne, et d’une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 9 mars 2021, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient enfin de marquer le pas.

Elle juge dorénavant que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif, ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 du même code.

Le temps de travail effectif est celui pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles (article L 3121-1 du Code du travail).

L’affaire concernait un salarié itinérant occupant un emploi de technico-commercial, qui avait fait une demande de paiement d’heures supplémentaires devant le Juge du contrat de travail, au regard du temps qu’il consacrait à ses déplacements.

Il exposait que, pendant ses déplacements, son véhicule lui servait de bureau puisqu’il utilisait son téléphone portable (kit main libre) pour fixer des rendez-vous, répondre à ses différents interlocuteurs (clients, directeur commercial, assistantes…), ce qui relevait de ses fonctions de technico-commercial itinérant.

Le salarié intervenait sur sept départements éloignés de son domicile, de sorte qu’il devait parfois passer la nuit à l’hôtel pour reprendre ses visites le lendemain.

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère enfin que, pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Ces temps devaient en conséquence être intégrés dans son temps de travail effectif et rémunérés comme tel (Cass. Soc. 23 nov. 2022 n° 20-21924).

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