Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Les commentaires professionnels postés sur les réseaux sociaux doivent être soupesés

Les réseaux sociaux sont incontournables et accompagnent le quotidien de nombreux salariés qui y exposent et y relatent leurs activités ainsi que leurs projets de toutes sortes.

Dans cet univers, Facebook et Linkedin, chacun dans un registre qui lui est propre, sont notamment utilisés pour communiquer et échanger des informations d’ordre professionnel.

Ces informations n’échappent évidemment pas à l’œil scrutateur de l’employeur qui peut y trouver une source d’intérêt précieuse qu’il exploitera à sa guise.

La prudence commande donc aux salariés d’y être d’une grande discrétion sur leurs projets professionnels et de ne pas y communiquer d’informations qui soient susceptibles de leur être reprochées par leur employeur.

Ainsi par exemple, même si cela peut paraitre relever de l’évidence mais correspond pourtant à une situation réelle, un salarié dont le contrat de travail comporte une clause d’exclusivité au profit de son employeur, serait bien inspiré de ne pas afficher sur son profil Linkedin qu’il consacre ses week-ends au développement d’une activité parallèle avec des proches, au risque de se voir reprocher par son employeur un manquement à son obligation de loyauté.Licenciement et liberté d'expression

Ou plus fréquent, se répandre sur sa page Facebook en déblatérant sur son employeur et/ou ses collègues, et les affubler de noms d’oiseaux, n’est sûrement pas à conseiller, surtout si cette page est visible publiquement, au risque de s’exposer à un licenciement pour faute grave.

Au fil des décisions, une jurisprudence commence à se construire.

Une jurisprudence déjà assez établie

La Chambre sociale de la Cour de cassation a certes placé des garde-fous en n’autorisant pas l’employeur à utiliser des contenus privés, auxquels il n’a normalement pas accès.

Pour autant, elle se montre très protectrice des employeurs lorsqu’il s’agit d’une atteinte portée au secret des affaires.

Dans une première affaire, une salariée avait déversé un flot d’injures sur son employeur dans un groupe Facebook privé limité à 14 personnes, auxquels par un tour de magie l’employeur avait eu accès et avait aussitôt licencié l’intéressée pour faute grave, en raison des insultes qu’elle avait proférées à son encontre.

Le licenciement est jugé injustifié, dès lors que la page Facebook litigieuse n’était accessible qu’à des personnes agréées par la salariée et peu nombreuses, de sorte qu’ils relevaient d’une conversation de nature privée (Cass. Soc. 12 sept. 2018 n° 16-11690).

Plus récemment, une salariée, chef de projet export pour la société PETIT BATEAU, était licenciée pour faute grave après que l’employeur lui ait notamment reproché d’avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société.

La salariée, invoquant des circonstances similaires à celle de l’affaire précédente, indiquait qu’il s’agissait d’un compte Facebook privé, qui n’était pas accessible au public mais uniquement aux personnes qu’elle avait acceptées (« amis »).

Au prix de contorsions juridiques qui peuvent laisser dubitatif, la Haute juridiction, tout en réaffirmant sa position, avait néanmoins jugé que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi », ce qu’elle considérait être le cas en l’espèce puisqu’il s’agissait de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires (Cass. Soc. 30 sept. 2020 n° 19-12058).

Dernièrement, c’est un employeur qui s’était prévalu d’une information publiée par une salariée sur Linkedin pour minorer son préjudice.

L’utilisation dévoyée par l’employeur d’une information publiée sur Linkedin

Certains salariés, qui sont en recherche d’emploi ou en période de transition, communiquent des informations sur ce réseau social professionnel, qui peuvent laisser croire qu’ils ont une activité professionnelle, alors qu’il s’agit en réalité soit de projets inaboutis soit d’une manière pas toujours exacte de combler une période d’inactivité.Fichiers personnels sur ordinateur professionnel du salarié

Il est vrai que des trous dans un CV, ou une période d’inactivité correspondant à une longue période de chômage, ne sont guère appréciés des recruteurs, ce qui peut inciter des salariés en recherche d’emploi à enjoliver quelque peu la réalité.

Il importe de préciser que lorsqu’un salarié est en litige contre l’employeur qui l’a licencié, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui lui est accordé par la juridiction prud’homale, s’il obtient gain de cause (fixé par le barème Macron), est apprécié au regard du préjudice que lui a causé la rupture de son contrat de travail.

La durée de sa période de chômage constitue un des principaux critères d’appréciation retenu par le Juge (avec notamment son âge et sa situation personnelle).

Les informations sur les réseaux sociaux sont en conséquence souvent examinées à la loupe par l’employeur afin de savoir si le salarié a, ou non, retrouvé un emploi.

Une salariée licenciée pour une insuffisance professionnelle, qu’elle avait contestée, s’était ainsi vu opposer par l’employeur son absence de préjudice, au motif qu’elle avait indiqué sur son profil Linkedin qu’elle avait réalisé une étude et effectué des démarches en vue de la reprise d’une entreprise, ayant consisté en des « négociations commerciales et promesses d’achat avec les cédants, études des bilans comptables, études de marché, réalisation du business plan, dépôt et présentation du projet auprès des organismes bancaires ».

La Cour d’appel avait souscrit à l’argument de l’employeur et limité le montant de l’indemnisation de la salariée à une somme minimale, estimant que les informations qu’elle avait publiées sur Linkedin établissaient sa reprise d’emploi.

Heureusement, la Chambre sociale de la Cour de cassation ne s’y est pas trompée et censure les Juges du fond pour avoir dénaturé la pièce qui leur était soumise, mentionnant qu’il ne s’agissait que d’une étude et de démarches effectuées en vue d’une reprise d’entreprise, et non qu’elle avait retrouvé un emploi (Cass. Soc. 30 mars 2022 n° 20-21665).

Moralité, si les réseaux sociaux peuvent être utiles pour faciliter une recherche d’emploi, il peut être imprudent de trop s’y livrer…

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