Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Le contexte

Bien que la situation soit assez rare en pratique, il peut arriver qu’un salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, reçoive dans les jours qui suivent cette déclaration d’inaptitude une convocation à un entretien préalable à un licenciement pour un motif disciplinaire (faute grave) assorti d’une mise à pied conservatoire.

L’employeur invoquant la commission par le salarié de fait qu’il estime fautifs antérieurs à son inaptitude.

Le motif médical, prononcé en premier lieu, mais pour lequel aucune procédure de rupture du contrat de travail n’a été engagée par l’employeur, prime-t-il le motif disciplinaire ou la faute commise par le salarié l’emporte sur les raisons d’ordre médical ?

Les faits de l’affaire

Un salarié exerçant des fonctions commerciales de responsable de secteur fait l’objet d’un avertissement par lettre du 20 octobre 2016.

Il est ensuite en arrêt de travail à compter du 21 octobre 2016, arrêt renouvelé jusqu’au 8 mars 2017.

Pendant la période de suspension de son contrat de travail, le 24 janvier 2017, l’employeur le convoque à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif disciplinaire avec mise à pied à titre conservatoire, l’entretien devant se tenir le 7 février suivant.

déclaration d'inaptitude par le médecin du travailLa veille de cet entretien, le 6 février 2017, le salarié passe une visite médicale de reprise au cours de laquelle le médecin du travail rend un avis d’inaptitude définitif du salarié à son poste, en précisant que son maintien à ce poste ou dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.

Il ajoute que son reclassement au sein de l’entreprise ou du groupe n’est pas envisageable (article L 1226-2-1 du Code du travail).

Par lettre en date du 16 février 2017, le salarié est licencié pour faute lourde.

Dans une correspondance très circonstanciée, l’employeur reproche à l’intéressé des visites de clients non effectués en dépit des rapports de visite qu’il a remis, ainsi que la mention d’un volume important de fausses visites, le tout étant aggravé par une surévaluation de ses notes de frais ayant donné lieu à remboursement.

Bien que l’employeur ait eu connaissance de l’avis d’inaptitude définitive prononcé par le médecin du travail, il choisit de licencier le salarié pour faute lourde, invoquant son manquement à l’obligation de loyauté et d’honnêteté envers l’entreprise qui l’emploie.

Le salarié conteste son licenciement.

La Cour d’appel le déboute, mais requalifie le licenciement de faute lourde en faute grave, ce qui évince la responsabilité civile personnelle du salarié.

Elle ne s’embarrasse guère de l’avis d’inaptitude, auquel elle n’accorde aucune importance.

La solution de la Chambre sociale de la Cour de cassation

Cette position n’a pas les faveurs de la Haute Juridiction.

Elle considère au contraire que les dispositions relatives à l’inaptitude, qui sont d’ordre public, font obstacle à ce que l’employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, peu important que l’employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause (Cass. Soc. 8 fév. 2023 n° 21-16258).

C’est donc le motif tiré de la santé du salarié qui prévaut sur le motif disciplinaire, et d’ailleurs sur tout autre motif qu’aurait pu invoquer l’employeur, la chronologie des procédures de licenciement n’ayant en l’occurrence aucune importance.

La Cour de cassation rappelle que les dispositions relatives à l’inaptitude présentent un caractère d’ordre public, de sorte qu’il ne peut y être dérogé.

Cette affirmation de principe met un terme à tout débat !

L’inaptitude prononcée par le médecin du travail aurait imposé à l’employeur, en l’espèce, de licencier le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, conformément à l’avis du médecin du travail.

On se souvient que cet avis exonère l’employeur d’une recherche de reclassement et de la consultation des représentants du personnel.

En revanche, si le médecin du travail s’était prononcé par un simple avis d’inaptitude, l’employeur aurait incontestablement dû se livrer à une recherche de reclassement dans l’entreprise, voire le cas échéant dans le groupe auquel elle appartient.

Ce n’est que faute d’avoir été en mesure de proposer un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, et après avoir effectué des recherches de reclassement loyales et sérieuses que l’employeur aurait pu licencier le salarié pour inaptitude.

La solution adoptée n’est pas nouvelle.

La Chambre sociale de la Cour de cassation s’était déjà prononcée dans le même sens.

L’affaire concernait un salarié placé en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail.

Un mois plus tard, le médecin du travail le déclarait inapte à son poste avec mention d’un danger immédiat.

Avant que la procédure d’inaptitude soit menée à son terme, le salarié avait été licencié pour faute grave après que l’employeur ait soutenu que le salarié avait effectué une fausse déclaration d’accident du travail constitutive d’un manquement à l’exécution de bonne foi du contrat de travail.

Ce motif avait été invalidé par la Cour régulatrice, sanctionnant l’employeur pour avoir prononcé le licenciement du salarié pour un motif autre que l’inaptitude (Cass. Soc. 20 déc. 2017 n° 16-14983).

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