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Les preuves que le salarié peut utiliser aux prud’hommes

Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

L’action en justice devant le Conseil de Prud’hommes nécessite la production de pièces utiles au soutien des prétentions du salarié

Le salarié qui souhaite engager une action contre son employeur devant le Conseil de Prud’hommes, quelle qu’en soit la nature (contestation de la rupture de son contrat de travail, harcèlement, paiement d’heures supplémentaires ou de primes, etc….), doit impérativement produire des pièces au soutien de ses demandes.

Cette affirmation, qui peut paraitre une évidence, requiert néanmoins du salarié qu’il dispose de pièces et qu’il ne se lance pas dans une telle démarche les mains vides, au risque probable d’un échec.

Il doit donc examiner soigneusement les pièces en sa possession et les remettre à son avocat, qui s’efforcera d’en tirer profit, en exploitant des documents précis et utiles à sa démonstration.

Des documents dont le salarié a connaissance à l’occasion de ses fonctions

L’action du salarié est irrémédiablement associée à la validité des éléments de preuve qu’il produira pour obtenir satisfaction.

Première interrogation : le salarié peut-il librement utiliser des pièces dont il a eu connaissance lorsqu’il était en poste dans l’entreprise, sans craindre que l’employeur lui oppose leur irrecevabilité ou dépose plainte pour vol ?

La jurisprudence considère que le salarié peut produire tout document strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense sans craindre de réaction (menace, pression) de son employeur.

Ainsi, le fait pour un salarié d’appréhender des documents dont il avait eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et dont la production était strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans la procédure prud’homale qu’il a engagée peu après, ne constituait pas un vol (Cass. Crim. 16 juin 2011 n° 10-85079).

Cette position est solidement établie.

Le salarié peut en outre, et il lui est vivement recommandé de le faire, extraire de son ordinateur professionnel, à titre préventif des mails, copie de réunions, d’agenda, d’organigramme et autres…, dès lors qu’il anticipe son éviction prochaine de l’entreprise.

Les courriels, les SMS et les enregistrements vocaux sont des moyens de preuve utilisables aux prud'hommesEn ayant à l’esprit que, selon le contexte et le niveau de conflictualité, l’employeur peut agir brutalement et lui demander soudainement de restituer les outils informatiques qu’il avait mis à sa disposition (ordinateur, téléphone) après lui avoir notifié une mise à pied à titre conservatoire.

La seule limite à la constitution de ces éléments de preuve réside dans l’adverse « strictement ».

Il est en conséquence déconseillé d’emporter une somme de documents trop importante qui seraient sans lien avec l’action prud’homale que l’intéressé a ou souhaite engager.

Quelles sont les pièces qui peuvent être valablement produites ?

Les mails constituent des modes de preuve importants dans le contentieux prud’homal

Les mails sont évidemment les premiers instruments que le salarié pourra utiliser pour prouver ses allégations.

Le Code civil dispose à ce sujet que L’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité (article 1366).

Depuis longtemps les juridictions prud’homales acceptent la production de mails, la Chambre sociale de la Cour de cassation estimant que :

Le courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens de preuve, lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond (Cass. Soc. 25 sept. 2013 n° 11-25884, Cass. Soc. 13 fév. 2014 n° 12-16839)

La validité d’un mail est donc soumise au contrôle du juge, qui appréciera sa validité.

Il peut tout aussi bien s’agir d’une capture d’écran d’un courrier électronique, pour autant qu’elle soit identifiable et parfaitement lisible.

SMS et messages vocaux

Les SMS sont également des modes de preuve recevables, la jurisprudence considérant que leur utilisation par le destinataire des SMS est parfaitement valable, dès lors que leur auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur.

Le même raisonnement est applicable aux messages vocaux enregistrés sur un téléphone.

La personne qui enregistre un message vocal a nécessairement connaissance de son enregistrement, et par suite, s’expose à ce que celui-ci puisse être exploité par son destinataire (Cass. Soc. 6 fév. 2013 n° 11-23738).

Cela étant, le salarié qui souhaite utiliser en justice un enregistrement vocal reçu sur son téléphone doit, au préalable, faire procéder à sa transcription par un commissaire de justice (anciennement huissier…), ce qui offrira les garanties d’une retranscription conforme.

L’attestation

L’attestation est un écrit qui contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés, selon les termes de l’article 202 du Code de Procédure Civile.

Il peut être utile de demander à un collègue ou à une personne qui a été témoin de faits visés dans la lettre de licenciement, mais contredisent les affirmations de l’employeur, de donner par écrit sa version des faits.

Les attestations sont donc d’autant plus précieuses qu’elles sont souvent difficiles à obtenir.

Leur auteur, s’il est salarié, pouvant légitimement craindre une mesure de rétorsion de l’employeur.

Il importe de souligner à cet égard que le licenciement d’un salarié pour avoir établi un témoignage en faveur d’un autre salarié dans le cadre d’un litige prud’homal l’opposant à son employeur est nul (en dernier lieu, Cass. Soc. 10 juillet 2024 n° 23-17953).

La validité d’une attestation en justice est néanmoins subordonnée à l’inscription de plusieurs mentions obligatoires (identité, date et lieu de naissance, adresse….), le formulaire idoine se trouvant ici.

L’enregistrement d’une conversation à l’insu de l’employeur

Pendant longtemps, la Chambre sociale de la Cour de cassation a fermement dénié toute valeur juridique à l’enregistrement vocal d’une conversation réalisée par le salarié à l’insu de l’employeur, considérant qu’un tel mode de preuve était déloyal.

Mais sous l’influence récente des juridictions européennes auxquelles la France est partie, sa position a évolué.

Le refus est désormais moins catégorique, même si les conditions de validité d’un tel enregistrement restent très encadrées (Ass. Plén. 22 déc. 2023 n° 20-20648).

Il appartient en effet au Juge de mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence.

Et d’apprécier si l’atteinte que l’enregistrement porte à la vie privée de la personne était indispensable à l’exercice du droit à la preuve (première condition), et que cette atteinte était proportionnée au but poursuivi (deuxième condition).

Plusieurs décisions récentes, le salarié n’ayant véritablement pas d’autre moyen de prouver ses affirmations, ont admis la validité d’enregistrements réalisés à l’insu de l’employeur.