Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
Dans quelles conditions un salarié licencié peut-il être réintégré dans l’entreprise ?
La sanction d’un licenciement injustifié se résout la plupart du temps par l’octroi au salarié de dommages intérêts.
Pourtant, le code du travail envisage la réintégration du salarié lorsque son licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse.
L’article L 1235-3 du Code du travail prévoit en effet que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Cette faculté accordée au Juge est rarement, pour ne pas dire jamais, utilisée car elle se heurte à un obstacle rédhibitoire tenant à la nécessite d’obtenir l’accord des deux parties, l’alinéa suivant précisant que « si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié ».
Si certains salariés injustement licenciés peuvent éprouver la volonté de retrouver l’emploi dont ils ont été privés de manière illicite, cette aspiration n’est pas partagée par l’employeur à l’origine du licenciement, de sorte que ce texte reste au stade de l’incantation.
En revanche, la situation est toute différente lorsque le licenciement a été jugé nul.
Quand la nullité est prononcée par la juridiction prud’homale, elle emporte pour conséquence l’anéantissement rétroactif du licenciement, de sorte que la réintégration est alors de droit et s’impose à l’employeur.
Mais les cas de nullité sont limités et résultent soit de l’énonciation qui en est faite par le Code du travail, soit d’une création de la jurisprudence.
Il s’agit essentiellement des licenciements ayant pour cause :
- Une discrimination (en raison de l’état de santé, des origines, d’une action en justice… article L 1132-1 et L 1132-4 du Code du travail),
- Un harcèlement moral ou sexuel (articles L 1152-2 et L 1153-4),
- Un accident du travail ou une maladie professionnelle (article L 1226-15)
- L’état de grossesse ou la maternité (article L 1225-71),
- Le signalement d’une alerte (articles L 1132-3-3 et L 1132-4)
- La nullité d’un PSE (L 1235-11)
- La violation d’une liberté fondamentale
- Ainsi que la violation du statut protecteur accordé aux salariés investis d’un mandat de représentation du personnel et de salariés siégeant en cette qualité dans des organismes sociaux ou des juridictions (délégués syndicaux, représentants du personnel, candidats ou élections professionnelles, conseillers prud’hommes…).
Conséquences de la réintégration
Lorsque le salarié dont le licenciement a été jugé nul demande sa réintégration, et qu’elle lui est accordée par le Juge, l’employeur doit le réintégrer dans son emploi ou un emploi équivalent, sauf s’il se trouve dans l’impossibilité absolue d’y procéder (Cass. Soc. 24 juin 1998 n° 95-44757).
La Chambre sociale de la Cour de cassation interprète de façon stricte ces exigences, qui ne souffrent de dérogation que de manière exceptionnelle.
Ainsi, le fait de confier à un prestataire la tâche pour laquelle la salariée était employée ne caractérise pas une impossibilité matérielle pour l’employeur de la réintégrer dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent (Cass. Soc. 14 sept. 2016 n° 15-15944).
L’employeur ne saurait non plus objecter, pour s’opposer à la réintégration, « du caractère artificiel et déloyal de la demande du salarié » (Cass. Soc. 25 mai 2018 n° 16-21542, 7 fév. 2018 n° 16-24834).
Il ne pourrait pas davantage exciper du fait que l’emploi du salarié est occupé et qu’il n’existe pas d’autres emplois équivalents dans le même secteur géographique, alors qu’il a limité sa recherche sans l’étendre aux autres secteurs géographiques (Cass. Soc. 18 fév. 2016 n° 14-23155).
Dans une dernière illustration, la Haute juridiction a considéré que le fait pour le salarié d’être entré au service d’un autre employeur n’était pas de nature à le priver de son droit à réintégration (Cass. Soc. 10 fév. 2021 n° 19-20397).
A quelle réparation le salarié a-t-il droit ?
La réparation accordée au salarié réintégré dans l’entreprise porte sur la totalité du préjudice qu’il a subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, de sorte que l’employeur doit lui régler les salaires dont il a été privé depuis le jour de la rupture jusqu’à la date de sa réintégration effective (Cass. Soc. 25 janv. 2006 n° 03-47517).
Toutefois, la Cour de cassation estime que doivent être déduits de la réparation du préjudice subi, les revenus que le salarié a tirés d’une autre activité (s’il a travaillé pour un autre employeur dans l’intervalle) ainsi que le revenu de remplacement, versé par pôle emploi, qui lui a été servi au cours de cette période (Cass. Soc. 12 fév. 2008 n° 07-40413).
Cette règle ne s’applique cependant pas lorsque le licenciement est nul en raison de la violation d’une liberté fondamentale (atteinte au droit de grève, atteinte au droit à la protection de la santé), ou à un droit constitutionnellement garanti, auquel cas il n’est pas tenu compte du revenu de remplacement dont il a bénéficié (Cass. soc. 17 fév. 2021 n° 19-21331).
Signalons enfin qu’afin de limiter les abus, lorsque des salariés tarderaient à demander leur réintégration en imaginant que les salaires continuent de courir, la jurisprudence énonce que le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n’a droit, au titre de cette nullité, qu’à la rémunération qu’il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective (Cass. Soc. 26 mars 2013 n° 11-27964, Cass. Soc. 13 janv. 2021 n° 19-14050).