Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

L’enregistrement de l’employeur à son insu, a priori un mode de preuve illicite

Il est souvent difficile pour un salarié malmené par son employeur et/ou victime de discrimination d’en rapporter la preuve.

L’égalité des armes constitue dans l’entreprise une illusion, le salarié étant habituellement fort démuni pour établir les malversations dont il est victime.

A de rares exception près, l’employeur se montrera d’une prudence de sioux et fera en sorte de ne laisser aucune trace écrite de ses agissements, en particulier aucun mail.

La plupart du temps, c’est donc dans le cadre de conversations orales que l’illicéité de son comportement, à travers les propos qu’il tient, se révélera.

Sauf à ce que, miraculeusement, il ait laissé un message explicite sur le répondeur du salarié, que celui-ci pourra produire en justice, les traces des propos de l’employeur risquent d’être bien minces.

Malheureusement, un enregistrement réalisé par le salarié à l’insu de son employeur constitue a priori un mode de preuve illicite devant la juridiction prud’homale, rendant assez forte la probabilité qu’il soit écarté (Cass. Soc. 6 fév. 2013 n° 11-23738).

Cela étant, les lignes commencent à bouger à la faveur d’un revirement de jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Dans ce contexte, la Cour d’appel de Paris vient de prendre en considération l’enregistrement qu’une salariée avait réalisé à l’insu de son employeur, permettant de démontrer qu’elle avait été victime d’une discrimination en raison de son état de santé.

Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve interprété de manière moins stricte

Cette décision s’inspire d’une évolution notable de la jurisprudence.

Jusqu’à présent, aussi bien le recours par l’employeur à un stratagème pour piéger le salarié, que l’enregistrement par le salarié d’une conversation téléphonique privée effectué à l’insu de l’employeur, étaient considérés comme des procédés déloyaux, et en conséquence jugés irrecevables dans un litige prud’homal.

Mais une première évolution, favorable à un employeur, s’est faite jour.

L’affaire concernait une salariée qui avait été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité, en ayant publié sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été de l’entreprise qui l’employait (Petit Bateau), alors qu’elle présentait un caractère strictement confidentiel.

La salariée contestait son licenciement et opposait à l’employeur l’interdiction qui lui était faite d’accéder aux informations extraites de son compte Facebook sans y avoir été autorisé (une « amie » de l’intéressée envoyé à l’employeur une capture d’écran de la publication litigieuse).

La Chambre sociale de la Cour de cassation avait réfuté l’argument et énonçait à cette occasion que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».

Elle considérait, au cas particulier, que la production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, consistant à protéger la confidentialité des affaires de l’employeur (Cass. Soc. 30 sept. 2020 n° 19-12058).

Le licenciement de la salariée était donc jugé légitime.

Il en ressort que la Haute juridiction accorde toujours une forte protection à la vie privée, mais qu’elle cède devant des circonstances particulières, indispensables à l’exercice du droit de la preuve et proportionnées au but poursuivi.

Validité de l’enregistrement d’une conversation réalisé à l’insu de l’employeur

Assez logiquement, les principes dégagés par la Chambre sociale de la Cour de cassation peuvent aussi être appliqués au bénéfice d’un salarié.

C’est ce que nous avions soutenu dans une instance opposant une salariée ayant 17 ans d’ancienneté à son employeur, après qu’elle ait été licenciée pour faute.L’enregistrement d'une conversation réalisé à l'insu de l'employeur est en principe illicite

La salariée, âgée de 54 ans, connaissait de graves problèmes de santé qui l’avaient contrainte à plusieurs arrêts de travail.

Elle avait été placée en invalidité 1ère catégorie, et l’employeur n’avait de cesse depuis le début de l’année 2019 de l’inciter à quitter l’entreprise au moyen d’une rupture conventionnelle, mais prenait surtout grand soin de ne rien écrire à cet égard.

Au final, face aux refus de la salariée, il l’avait licenciée en juin 2019, en lui reprochant d’avoir pris des congés payés en l’absence de validation par sa responsable hiérarchique et pour ne pas s’être rendue à un entretien, planifié par l’employeur, avec un consultant externe dans le but de se voir exposer tous les avantages qu’elle pourrait tirer d’un outplacement…

La salariée avait contesté son licenciement, soutenant qu’il était nul, car lié en réalité à son état de santé.

Elle en justifiait notamment en produisant une clé USB contenant l’enregistrement d’une conversation très explicite qu’elle avait eue avec la DRH plusieurs mois avant son licenciement, qui ne laissait guère de doute sur les raisons pour lesquelles l’employeur souhaitait rompre son contrat de travail, l’incitant vivement à demander son placement en invalidité 2ème catégorie et la décourageant sur ses perspectives d’emploi dans l’entreprise.

Cette conversation avait été captée à l’aide d’un smartphone, à l’insu de l’employeur.

L’intéressée produisait devant la juridiction prud’homale la retranscription par un huissier de justice des principaux passages de cette conversation, qui laissaient assez clairement apparaître les intentions de l’employeur.

Le Conseil de Prud’hommes (de Paris) avait néanmoins écarté l’enregistrement des débats, estimant qu’il caractérisait un manquement de la salariée à son obligation de loyauté relative à l’exécution du contrat de travail.

Il avait par ailleurs jugé que son licenciement, aux motifs fallacieux, était sans cause réelle et sérieuse.

La salariée avait fait appel, demandant à la Cour d’appel de juger son licenciement nul, car constitutif d’une discrimination en raison de son état de santé.

Elle produisait à nouveau l’enregistrement litigieux et sa retranscription partielle faite par l’huissier et sollicitait sa réintégration dans l’entreprise.

La Cour d’appel de Paris a fait droit à ses demandes (C.A Paris, 18 janvier 2023, pôle 6 Chambre 10, n° 21/04506).

Elle juge que L’enregistrement, fait en contradiction avec la loyauté à laquelle la salariée était tenue à l’égard de son employeur, est illicite.

Le procédé est certes toujours considéré comme tel, mais elle ajoute pour autant qu’il apparaît néanmoins que cette preuve était indispensable pour assurer le droit à la preuve de la salariée et sa production n’est pas disproportionnée au but poursuivi.

Il n’y a donc pas lieu de rejeter cette pièce des débats.

L’enregistrement étant partiel, la Cour juge que « ces éléments ne portent pas atteinte à la recevabilité de la pièce mais sont à prendre en considération pour apprécier la portée probatoire de l’enregistrement dont seule une partie est produite ».

Après avoir analysé l’ensemble des pièces, y compris l’enregistrement, les magistrats retiennent que le licenciement trouve sa véritable cause dans l’état de santé de la salariée, et qu’il est en conséquence nul.

Sa réintégration dans l’entreprise est ordonnée.

Cette décision, parfaitement motivée, recueille évidemment notre entière approbation.

Elle consacre la possibilité pour les salariés, afin de se protéger dans certaines circonstances particulières, d’enregistrer une conversation avec leur employeur et de la communiquer dans le procès prud’homal pour étayer leur affirmation.

Charge au Juge d’apprécier la validité de cet enregistrement.

C'est la date d'adhésion du salarié au CSP qui importeCSP et date d’énonciation de la cause économique par l’employeur
En cas de litige, le Juge des référés peut être compétentLicenciement d'un lanceur d'alerte et compétence du Juge des référés