Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La difficulté pour le salarié de qualifier le harcèlement moral qu’il subit
Le salarié qui est victime d’un harcèlement moral commis par son responsable hiérarchique, un autre salarié de l’entreprise, ou par son dirigeant, et qui souhaite engager une action judiciaire, doit réunir des éléments probants pour justifier de cette situation.
Ces éléments sont peut-être ceux qui lui avaient été demandés par les Ressources Humaines après qu’il se soit plaint auprès d’eux du harcèlement moral subi, pour aboutir finalement à une enquête dont les conclusions, contestables, se sont révélées négatives.
Cette circonstance ne doit pas constituer un frein et l’expérience démontre que ces enquêtes, conduites sous l’influence d’un DRH, reconnaissent rarement l’existence du harcèlement moral.
Pour autant, la qualification de harcèlement moral répond à des exigences précises qui sont énoncées par le Code du travail (article L 1152-1).
Les exigences du Code du travail
La première de ces exigences est l’existence « d’agissements répétés ».
Ceci exclut donc un événement isolé et nécessite soit la reproduction d’une situation, soit une multiplicité de faits qui concourent à créer un harcèlement moral du salarié.
Les agissements litigieux doivent en outre, et c’est la deuxième condition requise, avoir « pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail ».
Une rétrogradation, une mise à l’écart, l’absence systématique de convocation à des réunions, la suppression d’une part importante de l’activité ou, à l’inverse, une surcharge de travail… etc…constituent autant d’illustrations de ce que peut être la dégradation des conditions de travail d’un salarié.
Enfin, et c’est la troisième condition requise par le code du travail, la dégradation doit être « susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Il s’agit là de la conséquence causée par les agissements de harcèlement moral, la première et la plus fréquente étant l’altération de la santé mentale du salarié.
Sur qui repose la charge de la preuve ?
La Chambre sociale de la Cour de cassation affirme très clairement, dans une décision que nous allons évoquer, que : la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié.
L’articulation de la preuve du harcèlement repose, en matière judiciaire, en réalité autant sur le salarié que sur l’employeur.
Le régime probatoire prévu par le Code du travail met, tout d’abord, à la charge du salarié, non pas de prouver le harcèlement moral qu’il subit, mais d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement (article L 1154-1).
En d’autres termes, il faut mais il suffit, que le salarié rende compte des situations factuelles pour lesquelles il considère être victime de harcèlement moral.
Ainsi par exemple, il pourra s’appuyer sur des mails démontrant qu’il n’est plus convoqué aux réunions d’équipe, que son manager s’adresse très souvent à lui en le dénigrant ou en tenant des propos humiliants, des comptes rendus établissant que ses attributions ont été confiées à d’autres salariés, une copie d’écran de sa boite de réception illustrant qu’il ne reçoit plus de courriels….etc…
Dans un second temps, il incombera alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
C’est alors à l’employeur de justifier des raisons précises et objectives pour lesquelles le salarié a été évincé de son équipe, son bureau a été déplacé au fond d’un couloir isolé, son responsable lui envoie des mails humiliants…etc…
Le salarié ne sera pas surpris que l’employeur fournisse des explications alambiquées.
Le harcèlement moral à l’aune de la nouvelle jurisprudence sur les enregistrements dissimulés
La récente évolution de la jurisprudence, admettant désormais sous certaines conditions limitatives, les enregistrements sonores réalisés à l’insu de l’employeur, vient de trouver ici un écho supplémentaire.
On sait qu’un tel procédé n’est en effet plus considéré systématiquement comme déloyal et peut parfois permettre d’appuyer utilement la défense du salarié.
En l’espèce, une salariée, estimant subir depuis plusieurs mois un harcèlement moral de la part de son employeur est licenciée pour cause réelle et sérieuse.
Elle conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale et soulève sa nullité en raison du harcèlement moral qu’elle a subi.
Elle produit notamment, au soutien de ses affirmations, un enregistrement de son employeur destiné notamment à établir la pression qu’elle subissait pour l’inciter à accepter une rupture conventionnelle, en la menaçant de licenciement.
La Cour d’appel écarte cependant cette pièce, estimant qu’elle est contraire au principe de loyauté dans l’administration de la preuve et que la salariée avait d’autres choix que d’enregistrer l’entretien litigieux.
Elle déboute également la salariée de la contestation de son licenciement, qu’elle valide.
Le rappel utile de la Cour de cassation
L’arrêt de la Cour d’appel est censuré.
La Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle la position qu’elle a dorénavant adoptée et précise, solennellement, que la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié.
Le juge doit apprécier si l’enregistrement litigieux porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Il appartenait en conséquence aux Juges d’appel de vérifier si la production de l’enregistrement de l’entretien effectué à l’insu de l’employeur, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué, au soutien duquel la salariée invoquait, au titre des éléments permettant de présumer l’existence de ce harcèlement, les pressions exercées par l’employeur pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle.
Et, dans l’affirmative, si l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi, la cour d’appel a violé les textes susvisés (Cass. Soc. 10 juill. 2024 n° 23-14900).