Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Harcèlement (moral et sexuel) et obligation de sécurité de l’employeur

La protection de la santé et de la sécurité des salariés constitue une obligation déterminante de l’employeur, qui lui impose en premier lieu d’agir à titre préventif pour limiter les risques professionnels dans l’entreprise.

Le Code du travail pose à ce titre que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner (articles L 1152-4 et L 1153-5).

Cette exigence peine parfois se concrétiser et il n’est malheureusement pas exceptionnel, les vicissitudes de l’entreprise étant ce qu’elles sont, qu’un salarié ait à subir des faits de harcèlement moral ou sexuel de la part d’un responsable hiérarchique ou d’un collègue de travail.

Ces faits inadmissibles ne peuvent se satisfaire de simples atermoiements de l’employeur lorsqu’il en est informé par un salarié ; c’est alors le temps de l’action, plus celui de la prévention, qui prévaut.

La jurisprudence est parfaitement établie sur ce point, l’employeur doit prendre sans délai les mesures nécessaires pour assurer de manière effective le respect de l’obligation de sécurité à laquelle il est tenu et faire cesser immédiatement la situation de harcèlement qui lui est rapportée (Cass. Soc. 1er juin 2016 n° 14-19702).

L’enquête interne pour l’éclairer sur les faits et déterminer les responsabilités

Concrètement, lorsque l’employeur est saisi d’une plainte de harcèlement moral ou sexuel, il organisera une enquête afin d’être éclairé de la manière la plus complète possible sur les circonstances de cette situation, sa durée, le ou les salariés qui y sont impliqués…

L’enquête interne constitue en effet le moyen le plus communément employé dans les entreprises.

contrôle de l'employeurElle est souvent dirigée par les représentants du personnel (CSE), mais la Chambre sociale de la Cour de cassation a récemment admis qu’elle pouvait être valablement confiée, non pas au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais à la direction des ressources humaines (Cass. Soc.1er juin 2022 n° 20-22058).

Elle a même considéré que l’employeur était fondé à mandater un organisme extérieur à l’entreprise pour y procéder (Cass. Soc. 17 mars 2021 n° 18-25597).

En cas de litige, la valeur probante du rapport établi est appréciée par les Juges du fond

L’affaire concernait le directeur d’une caisse du Crédit Mutuel, dont deux salariées avaient eu à se plaindre à leur employeur d’agissements de harcèlement moral et sexuel qu’il avait commis.

Le rapport d’enquête interne qui avait suivi avait révélé qu’une des salariées y décrivait « des propos récurrents à connotation sexuelle, ainsi que des propos graveleux et déplacés sur son physique, ses tenues vestimentaires ou celles de collègues, sur les seins de sa femme » », une autre dénonçait une pression quotidienne et des reproches permanents, l’auteur des faits ayant notamment « avoué être contre sa titularisation » lors de son entretien annuel d’évaluation et évoquant également une réflexion sur son décolleté.

A l’issue de l’enquête, et au terme de la procédure disciplinaire, l’employeur avait licencié le salarié pour faute grave, lui reprochant des faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral tenant à un management agressif.

Celui-ci avait contesté son licenciement devant la juridiction prud’homale.

Il affirmait notamment que l’enquête interne avait été déloyale car elle s’était déroulée sans audition de l’ensemble des salariés témoins des faits litigieux, que les salariées ayant dénoncé les faits avaient été entendues ensemble, et que les circonstances de l’enquête laissaient par ailleurs à désirer.

La Cour d’appel lui avait donné raison, jugeant que le caractère déloyal de l’enquête ne permettait pas d’établir la matérialité des faits dénoncés et de présumer d’un harcèlement sexuel ou d’un harcèlement moral commis par le salarié, son licenciement était en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse.harcelement moral

Cette décision est censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Elle énonce d’abord que la règle applicable à une victime de harcèlement moral ou sexuel, consistant, en cas de litige, à présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, n’est pas applicable à l’auteur des agissements.

Cette règle protectrice ne doit pas être dévoyée au bénéfice du salarié auxquels les faits de harcèlement sont reprochés.

La Haute juridiction rappelle ensuite qu’en matière prud’homale, la preuve est libre.

Il en résulte qu’en cas de licenciement d’un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral, le rapport de l’enquête interne, à laquelle recourt l’employeur, informé de possibles faits de harcèlement sexuel ou moral dénoncés par des salariés et tenu envers eux d’une obligation de sécurité lui imposant de prendre toutes dispositions nécessaires en vue d’y mettre fin et de sanctionner leur auteur, peut être produit par l’employeur pour justifier la faute imputée au salarié licencié. Il appartient aux juges du fond, dès lors qu’il n’a pas été mené par l’employeur d’investigations illicites, d’en apprécier la valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties (Cass. Soc. 29 juin 2022 n° 21-11437).

De sorte que… la preuve est certes libre, mais elle doit être loyale !

L’employeur pouvait valablement produire le rapport d’enquête en justice.

Il appartient néanmoins au Juge du fond d’apprécier s’il n’a pas entrepris d’investigations illicites (telles qu’atteinte à la vie privée, utilisation de stratagème…), avant de jauger la valeur probante du rapport qu’il produit.

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