Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
L’erreur de gestion commise par l’employeur ne caractérise pas une faute permettant l’invalidation des licenciements qui en sont la conséquence
L’erreur de gestion de l’employeur, qui est à l’origine du licenciement pour motif économique de nombreux salariés, ne prive pas les licenciements de cause réelle et sérieuse dès lors que cette erreur ne caractérise pas une faute.
La Chambre sociale de la Cour de cassation persiste donc à considérer que l’erreur de gestion de l’employeur n’engage pas sa responsabilité à l’égard des salariés.
Elle parait fonder son raisonnement sur le fait que la gestion d’une entreprise comporte inévitablement des risques dont l’employeur n’est pas comptable envers ceux qui en subissent, au premier rang, les conséquences.
Cette conception, qu’elle a adoptée il y a plus d’un demi-siècle, n’a guère varié en dépit du changement d’environnement économique qui est intervenu depuis.
Elle procède d’une lecture très neutraliste du rôle du juge, lequel doit s’abstenir de porter une appréciation sur les choix de gestion de l’employeur et leurs conséquences sur l’entreprise.
La Cour régulatrice énonce à cet égard que ;
« s’il appartient au juge, tenu de contrôler le caractère sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur, il ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu’il effectue dans la mise en œuvre de la réorganisation » (Cass. Soc. 8 juill. 2009 n° 08-40046).
Ce n’est que lorsqu’il a commis une faute, ou agi avec une légèreté blâmable, que le comportement de l’employeur permettra d’invalider les licenciements des salariés.
Il a ainsi été jugé qu’un employeur s’était rendu coupable d’agissements fautifs, allant au-delà des seules erreurs de gestion, après qu’une société mère ait fait procéder pendant deux ans à une remontée de dividendes de ses filiales françaises dans des proportions manifestement anormales compte tenu de leurs marges d’autofinancement et alors que certaines d’entre elles étaient déjà en situation déficitaire et que d’autres avaient des besoins financiers pour se restructurer et s’adapter à de nouveaux marchés.
Partant, le licenciement d’une salariée, prétendument justifié par les difficultés économiques, de l’entreprise était sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 24 mai 2018 n° 17-12560).
Mais la frontière entre la faute et l’erreur de gestion est parfois ténue, en particulier lorsque le licenciement repose sur la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
La Chambre sociale de la Cour de cassation était saisie d’un litige de cette nature, qui lui a fourni l’occasion de préciser sa position.
Rappelons tout d’abord que l’article L 1233-3 du Code du travail prévoit qu’un licenciement pour motif économique doit avoir pour cause soit : (1°) des difficultés économiques, (2°) des mutations technologiques, (3°) une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, (4°) la cessation d’activité.
Arguant d’une réorganisation de l’entreprise, la société Pages Jaunes avait mis en œuvre un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) prévoyant des suppressions de poste, et avait procédé au licenciement des salariés concernés.
Plusieurs d’entre eux contestaient leur licenciement pour motif économique.
La Cour d’appel, avec une motivation audacieuse, avait fait droit à leur demande.
Elle avait retenu que l’utilisation des ressources financières dont disposait la société Pages jaunes était remontée à la société mère, la privant ainsi des besoins de financement nécessaires pour investir alors qu’elle évoluait dans un marché « on line » fortement concurrentiel qui imposait de proposer des prestations spécialisées et adaptées.
Une ébauche de projet de transformation destinée à répondre aux besoins du marché avait bien été faite tardivement, mais constituait une restructuration insuffisante.
Les juges du fond avaient déduit de la conjonction de ces éléments que le péril qui pesait sur la compétitivité de l’entreprise, au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement, n’était pas dissociable de la faute de la société, les décisions ayant été prises dans le seul intérêt de l’actionnaire et ne se confondaient pas avec une simple erreur de gestion.
Saisie d’un pourvoi, la Chambre sociale de la Cour de cassation en revient à une appréciation plus orthodoxe et censure cette décision.
Elle juge que :
« Si la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation, l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute » (Cass. Soc. 4 nov. 2020 n° 18-23029).
En l’espèce, la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise n’était pas caractérisée.
A suivre la Haute Juridiction, l’employeur avait donc éventuellement commis une erreur dans l’appréciation du risque, mais elle relève de son pouvoir de gestion de l’entreprise.
Il bénéficie donc d’une immunité devant le Juge du contrat de travail et probablement de la même devant ses actionnaires…. Tout va pour le mieux !