Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

La clause de non-concurrence suscite de nombreuses interrogations de la part des salariés après qu’ils aient quitté l’entreprise.

Soit ils en déplorent l’application par l’employeur lorsqu’elle fait obstacle à leur carrière en leur interdisant une embauche par une entreprise concurrente, et tout moyen pour la rendre inopérante est alors scrutée attentivement.

Soit ils guettent avec gourmandise la date limite après laquelle l’employeur ne pourra plus y renoncer et devra payer la contrepartie financière, lorsqu’ils trouvent avantage à sa mise en œuvre.

Rappelons que la clause de non-concurrence ne peut constituer une entrave à la liberté fondamentale d’exercer une activité professionnelle, et que ses conditions de validité ont été posées par la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis près de vingt ans :

Une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est (1) indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, (2) limitée dans le temps et dans l’espace, (3) qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et (4) comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives (Cass. Soc. 10 juil. 2002 n° 00-45135).

Elle est exigible à compter de la date de départ effectif du salarié de l’entreprise.

En pratique, il convient d’apporter quelques précisions utiles tirées de la jurisprudence la plus récente :

1- Forme de la levée de la clause de non-concurrence, mail ou lettre recommandée ?

Lorsque le contrat de travail prévoit expressément que la renonciation par l’employeur à la clause de non-concurrence doit être effectuée par lettre recommandée, un mail, quand bien même le salarié en aurait eu connaissance, est dépourvu d’effet.

Une salariée demandait en justice le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence prévue dans son contrat de travail, lequel stipulait que l’employeur pourrait en être libéré à condition d’en informer l’intéressée par lettre recommandée dans le délai d’un mois à compter de la rupture effective du contrat de travail.

La Cour d’appel l’avait déboutée, ayant retenu que l’employeur avait valablement supplée à la formalité de la lettre recommandée en rapportant la preuve que la salariée avait eu connaissance qu’il l’avait libérée du respect de la clause, ainsi que de sa date, par l’envoi d’un courriel daté de son dernier jour de travail effectif, dans lequel il lui indiquait qu’il levait la clause de non-concurrence.

Ce mail, envoyé à l’adresse de la salariée au sein de l’entreprise le dernier jour de son activité à 18 heures, se référait à une confirmation orale, ce qui révélait, d’après les magistrats, que les parties s’étaient mises d’accord antérieurement

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure heureusement cette motivation en rappelant la force obligatoire du contrat.

En l’espèce, le contrat de travail stipulait que la renonciation à la clause de non concurrence devait prendre la forme d’une lettre recommandée avec avis de réception, de sorte qu’un mail ne pouvait remplacer cette exigence (Cass. Soc. 21 oct. 2020 n° 19-18399).Lettre de licenciement

Concernant l’envoi de la lettre recommandée, la Haute juridiction se contente de la preuve, par l’employeur, de l’envoi de la lettre dans le délai convenu, quand bien même il ne serait pas en mesure de prouver que cette correspondance avait été présentée à l’intéressé et qu’il en avait été avisé (Cass. Soc. 3 fév. 2021 n° 19-16695)

C’est donc la date d’envoi de la lettre de levée de la clause de non-concurrence, et non sa date de réception, qui prévaut.

2- Convention collective exigeant également l’accord du salarié pour lever la clause de non-concurrence, une exigence déterminante

Certaines conventions collectives fixent les modalités d’application de la clause de non-concurrence ainsi que le montant de sa contrepartie financière, ce qui est notamment le cas de la convention collective nationale des industries chimiques.

Celle-ci comporte en outre un avenant relatif aux ingénieurs et cadres qui précise que « l’employeur qui dénonce un contrat de travail prévoyant une clause de non-concurrence peut, avec l’accord de l’intéressé, libérer par écrit, au moment de la dénonciation, le cadre de la clause d’interdiction » (avenant n° 3 du 16 juin 1955 relatif aux ingénieurs et cadres).

Le contrat de travail d’un salarié, soumis à ces dispositions, stipulait que l’employeur pouvait renoncer unilatéralement à l’obligation de non-concurrence.

Il avait été licencié, à la suite de la liquidation de l’entreprise qui l’employait, et sa lettre de licenciement mentionnait la levée de la clause de non-concurrence.

Il avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, en soutenant que l’employeur n’avait pu valablement le libérer unilatéralement de l’application de la clause de non-concurrence, alors que la convention collective exigeait également qu’il y consente par écrit.

Là encore, la Cour d’appel (d’Amiens) l’avait éconduit.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation, qui énonce à cette occasion deux affirmations : d’une part, le contrat de travail ne pouvait déroger à la convention collective en un sens défavorable au salarié en permettant à l’employeur de renoncer unilatéralement à l’exécution de la clause de non-concurrence lors de la rupture,

D’autre part, le prononcé de la liquidation judiciaire n’avait pas pour effet de libérer de plein droit le salarié de son obligation de non-concurrence, et partant, l’employeur devait en payer la contrepartie financière (Cass. Soc. 6 janv. 2021 n° 19-18312).

3- Absence de validité d’une clause de non-concurrence applicable au monde entier

La clause de non-concurrence se saurait étendre ses prévisions à l’infini, et ne doit notamment pas empêcher le salarié d’exercer l’activité professionnelle pour laquelle il est formé et qu’il a constamment exercée, faute de constituer une atteinte excessive à la liberté du travail.

Le contrat de travail d’une salariée contenait une clause de non-concurrence très restrictive dans sa formulation et qui s’étendait au monde entier.

La salariée avait démissionné et avait estimé que cette clause, qui lui interdisait de travailler, était illicite.

Elle avait ensuite intégré un groupe concurrent par l’intermédiaire d’une de ses filiales.

L’employeur avait alors vu rouge, et avait saisi le Juge des référés pour lui ordonner de cesser toute activité de concurrence professionnelle au sein de la société qui l’employait désormais, et obtenir sa condamnation au paiement de sommes à titre provisionnel.

Une fois encore, une Cour d’appel (celle d’Angers) lui avait donné raison en considérant que le fait que la délimitation géographique de l’obligation de non-concurrence soit le monde entier ne rend pas en soi impossible par la salariée l’exercice d’une activité professionnelle.

On imagine aisément la catastrophe pour la salariée, compte tenu de l’effet exécutoire attaché aux décisions de référé…

La Chambre sociale de la Cour de cassation a néanmoins cassé cet arrêt.

Après avoir mis en exergue le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, elle relève que la clause de non-concurrence n’était pas délimitée dans l’espace, ce qui la privait de validité, de sorte que la demande en référé de l’employeur ne pouvait prospérer (Cass. Soc. 8 avril 2021 n° 19-22097).

4- Transaction après un licenciement, quid de la clause de non-concurrence ?

Une transaction rédigée en termes très larges emporte-t-elle dans sa généralité la renonciation du salarié au bénéfice de l’indemnité de non-concurrence que l’employeur avait négligé de lever ?

Une salariée dont le contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence est licenciée pour motif personnel.

L’employeur ne lève pas la clause de non-concurrence à l’occasion du licenciement, ni postérieurement.

Peu de temps après ce licenciement, les parties signent une transaction précisant que celle-ci porte « sur l’ensemble des droits résultant de l’exécution et la rupture du contrat de travail et a autorité de la chose jugée quant aux prétentions en résultant nées à la date de sa signature ».

Les parties conviennent en outre que l’indemnité transactionnelle versée à la salariée « a vocation à réparer l’ensemble des préjudices tant professionnels qu’elle prétend subir du fait des modalités d’exécution de son contrat de travail, de sa rupture, des conditions dans lesquelles elle est intervenue et au regard de ses conséquences de toute nature, et notamment ceux expressément invoqués dans le protocole ».

Après la signature de la transaction, l’intéressée saisi la juridiction prud’homale d’une demande de paiement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

L’employeur lui oppose les termes de la transaction qu’elle a signée, qui avaient réglé l’ensemble des modalités de la rupture du contrat de travail et du solde de tout compte et avaient mis fin à tout litige, né ou à naître, lié à l’exercice ou à la rupture du contrat de travail.

Il prétend donc n’être redevable d’aucun paiement.

La Cour d’appel ne suit pas son argumentation et, après avoir constaté que la transaction litigieuse ne comprenait aucune mention indiquant que les parties au protocole avaient entendu régler la question de l’indemnité de non-concurrence due à la salariée, le condamne à payer l’indemnité de non-concurrence.

Elle s’inspirait en cela de la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui considérait jusqu’à lors que quand l’employeur n’avait pas délié le salarié de son obligation de non-concurrence et que la transaction ne contenait aucune stipulation à cet égard, la contrepartie pécuniaire n’entrait pas dans l’objet de la transaction (Cass. Soc. 24 janv. 2007, n° 05-43868).

Mais opérant un revirement de jurisprudence, la Cour régulatrice désapprouve la Cour d’appel.

Visant les articles du Code civil (articles 2044 et 2052) applicables à une transaction, la haute juridiction énonce que les obligations réciproques des parties au titre d’une clause de non-concurrence sont comprises dans l’objet de la transaction par laquelle ces parties déclarent être remplies de tous leurs droits, mettre fin à tout différend né ou à naître et renoncer à toute action relatifs à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail.

Elle relève que, dans la transaction :

« Les parties reconnaissaient que leurs concessions réciproques étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif, conformément aux dispositions des articles 2044 et suivants du code civil, et en particulier de l’article 2052 de ce code, ceci afin de les remplir de tous leurs droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre elles et déclaraient, sous réserve de la parfaite exécution de l’accord, être totalement remplies de leurs droits respectifs et renoncer réciproquement à toute action en vue de réclamer quelque somme que ce soit ».

Il en résulte donc que l’employeur était exonéré du paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence (Cass. Soc. 17 fév. 2021 n° 19-20635).

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