Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Prévention des risques professionnels et obligations de l’employeur

La prévention des risques professionnels, qui relève de l’obligation de sécurité, fait partie des obligations déterminantes de l’employeur.

A ce titre, on sait que l’entreprise constitue un facteur de risques psychosociaux important et qu’elle peut être la cause d’une situation de souffrance au travail, dont le harcèlement moral apparaît comme l’une des principales manifestations.

Les dispositions du Code du travail précisent que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs », lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels (articles L 4121-1 et L 4121-2).

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation déduit de cette exigence que lorsqu’un employeur est saisi par un salarié d’une situation de harcèlement moral, il lui incombe de diligenter sans délai une enquête (Cass. soc. 27 nov. 2019 n° 18-10551).

Cette enquête doit en principe être objective et contradictoire, les représentants du personnel y étant associés.

Elle est destinée à vérifier les faits dénoncés par le salarié et réalisée au moyen d’entretiens individuels conduits avec des salariés ayant eu à connaître, de près ou de loin, à la situation litigieuse.non-respect d'une clause de non-concurrence, quels sont les risques ?

Lorsque ces faits sont caractérisés, l’employeur doit agir immédiatement et de manière effective afin qu’ils cessent et veiller à ce qu’ils ne se reproduisent plus.

Ainsi concrètement, si le salarié se plaint d’un harcèlement moral commis par un supérieur hiérarchique, plus rarement un collègue, celui-ci doit être sanctionné pour son comportement et il est nécessaire que ce salarié change d’affectation pour ne pas se trouver sous la coupe de son agresseur.

Le constat doit malheureusement être fait que la réalité est souvent différente…

Soit que l’employeur cherche à influencer l’enquête, en usant de pressions sur les salariés auditionnés, afin que les conclusions qui seront rendues démentent les propos du plaignant, ou les relativise, soit lorsque leur véracité est établie, qu’il néglige de sanctionner l’auteur des agissements, à plus forte raison si sa position dans la hiérarchie de l’entreprise est élevée.

De telles pratiques sont évidemment condamnables, mais elles sont la conséquence d’un rapport de force bien connu qui confère à l’employeur le pouvoir de direction, qui va de pair avec une position dominante sans partage.

Il ne restera plus alors au salarié qui veut obtenir réparation qu’à s’adresser à la juridiction prud’homale…

L’employeur négligent s’expose à être condamné

Une récente décision en apporte la confirmation.

Une salariée, chargée de clientèle au sein d’une caisse régionale du Crédit Agricole, engage une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant notamment être victime d’un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique ayant conduit à son arrêt de travail pour maladie à compter du 9 août 2016.

Un peu plus d’un an plus tard, elle est déclarée inapte à tout poste par la médecine du travail et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 5 septembre 2017.

Elle conteste en outre son licenciement et demande à ce qu’il soit jugé nul.

L’intéressée soutenait que, l’employeur était averti de la dégradation de ses conditions de travail dès son entretien annuel de 2015, par le commentaire écrit qu’elle y avait porté.

Le médecin du travail, qui évoquait une souffrance chronique au travail, l’avait également alerté et préconisait un changement d’agence.

C’était encore un délégué syndical, qui avait effectué un signalement le 24 mai 2016, auprès de la direction des ressources humaines.

Celle-ci n’avait pourtant mis en place aucune action de prévention et avait réagi tardivement, le 13 juin 2017, après qu’elle ait saisi le Conseil de prud’hommes de la résiliation judiciaire de son contrat de travail.harcelement moral

La salariée échoue devant la Cour d’appel, qui n’avait vu aucune difficulté à la réaction pour le moins tardive de l’employeur, dès lors qu’il avait mis en œuvre une procédure d’enquête et lui avait trouvé une nouvelle affectation, qui n’avait pu aboutir en raison de l’avis d’inaptitude.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure les Juges d’appel, et visant les dispositions du Code du travail relatives à l’obligation de sécurité et à celle de prévention des risques professionnels, considère que l’employeur s’en est affranchi, dès que bien qu’informé par la salariée de la dégradation de ses conditions de travail, il avait réagi tardivement (Cass. Soc. 23 mars 2022 n° 20-23272).

Une double condamnation

Rappelons que l’inertie de l’employeur est doublement critiquable et qu’il encourt donc, d’une part, une condamnation pour manquement à l’obligation de prévention des risques professionnels.

D’autre part, sa défaillance à son obligation de prévention des agissements de harcèlement moral constitue un deuxième chef de préjudice au bénéfice du salarié.

L’obligation pour l’employeur de réagir à la plainte d’un salarié en organisant une enquête objective constitue un impératif qui ne souffre aucun retard.

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