Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

L’exercice normal du droit de grève interdit à l’employeur de licencier un salarié pour ce motif

La grève est souvent l’ultime moyen auquel un ou des salariés ont recours lorsque l’employeur reste obstinément sourd à leurs revendications.

Mais la désorganisation de l’entreprise qu’elle est susceptible de provoquer, et la résistance à l’omnipotence de l’employeur qu’elle caractérise, exposent inévitablement celui qui s’y associe, mais plus sûrement encore celui qui est à son origine, à subir des mesures de rétorsion.

Or, le droit de grève constitue non seulement un mode d’expression légal des salariés, mais il a en outre valeur constitutionnelle, ce qui lui confère un degré de protection très élevé dans la hiérarchie des normes.

Il trouve sa traduction dans le code du travail sous la forme d’un article disposant que l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux (article L 2511-1).

De sorte que ce n’est que dans un cas de faute lourde, révélant l’intention de nuire à l’employeur, que le licenciement d’un salarié pourra être justifié.

Le licenciement prononcé en méconnaissance de ces dispositions est entaché de nullité

En l’absence de faute lourde du salarié, le licenciement du salarié est jugé nul de plein droit, selon les énonciations du code du travail.

Rappelons que lorsque le licenciement est annulé, le salarié peut, s’il en avait fait la demande, être réintégré dans l’entreprise et bénéficier du paiement de ses salaires pendant la période de son éviction.

A défaut, il obtiendra une indemnité qui échappe au barème Macron, et dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois (article L 1235-3-1).

Ces circonstances contribuent à donner matière à réflexion à l’employeur animé de la volonté de se débarrasser d’un salarié gréviste…Mais elles ne sont sans doute pas de nature à dissuader complétement les employeurs les plus téméraires.

Ceux-là voudront punir le gêneur « quoi qu’il en coûte » (selon une expression passée de mode…), mais s’entoureront de la précaution de base en évitant soigneusement d’évoquer l’exercice de son droit de grève dans la lettre de licenciement.

Mais la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de démontrer qu’elle s’employait à débusquer les manœuvres de l’employeur.

Quand la jurisprudence déjoue les procédés détournés de l’employeur

Un salarié ayant un poste à responsabilité dans une filiale du Crédit Agricole est mis à pied conservatoire et licencié pour faute grave.

Dans la lettre de licenciement, l’employeur lui fait grief d’avoir contacté les membres de son équipe pour leur faire part de son intention de se mettre en grève dès le lendemain et de les inciter à en faire de même.Un salarié ne peut être licencié en raison de son exercice normal du droit de grève

Cette action s’inscrivait dans un contexte de refus de la direction de l’entreprise d’engager du personnel supplémentaire.

L’intéressé saisit alors la juridiction prud’homale de la contestation de son licenciement et demande à ce qu’il soit jugé nul, formant également diverses demandes indemnitaires et de paiement d’heures supplémentaires.

La Cour d’appel l’en déboute, retenant qu’il n’aurait pas été licencié pour avoir eu l’intention d’exercer son droit de grève, mais pour sa tentative d’incitation des membres de son équipe à mener une telle action, justifiée par le refus d’embauche de l’employeur.

Cette motivation est heureusement censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

La Haute Juridiction rappelle qu’il résulte de l’article L 2511-1 du Code du travail, que la nullité du licenciement d’un salarié n’est pas limitée au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève mais s’étend à tout licenciement prononcé à raison d’un fait commis au cours ou à l’occasion de l’exercice d’un droit de grève et qui ne peut être qualifié de faute lourde.

Elle énonce ensuite que la lettre de licenciement reprochait au salarié d’avoir tenté d’inciter les membres de son équipe à mener une action de grève en réponse au refus de la direction d’engager du personnel supplémentaire, ce dont il résultait que les faits reprochés avaient été commis à l’occasion de l’exercice du droit de grève (Cass. Soc. 23 nov. 2022 n° 21-19722).

La grève est en effet définie comme « la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles » (Cass. Soc. 2 fév. 2006, n° 04-12336).

L’action du salarié en raison du refus par l’employeur d’embaucher du personnel répondait incontestablement à cette exigence légale.

En conséquence, le licenciement du salarié doit être jugé nul.

La signature de l'employeur sur un contrat à durée déterminée est une formalité substantielleLa signature scannée de l'employeur sur un CDD est-elle valable ou permet-elle la requalification en CDI ?
C'est la date d'adhésion du salarié au CSP qui importeCSP et date d’énonciation de la cause économique par l’employeur