Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La modification de la rémunération d’un salarié ne peut intervenir qu’avec son accord exprès
La rémunération, qui constitue pour le salarié un élément déterminant de son contrat de travail, ne peut être modifiée par l’employeur à sa convenance ; toute modification nécessite, sauf exception, que le salarié y consente et donne son accord exprès.
C’est la solution que vient de rappeler la Chambre sociale de la Cour de cassation en y ajoutant une précision importante.
On sait que la relation de travail entre un salarié et son employeur n’est pas vraiment placée sur un pied d’égalité.
Ce déséquilibre originel confère à l’employeur, investi du pouvoir de direction, une autorité dont il peut avoir la fâcheuse propension à abuser, assénant avec assurance qu’il lui est loisible de modifier comme bon lui semble la rémunération du salarié, alors même que le contrat de travail en fixe les modalités.
Combien de salariés, en effet, ont été confrontés au cours de leur relation de travail à un employeur qui avait modifié unilatéralement leur rémunération, avec souvent une incidence importante sur le montant de leur salaire ?
Qu’il s’agisse, par exemple, de modifier un taux de commissionnent ou les modalités de détermination d’une prime sur objectifs prévus contractuellement.
Un tel procédé est illicite.
La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation assène avec une parfaite constance que
la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que le nouveau mode de rémunération soit supérieur au salaire antérieur, ou l’employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié (Cass. Soc. 18 mai 2011 n° 09-69175, Cass. Soc. 25 janv. 2017 n° 15-21352).
Quand bien même la modification s’avérerait plus favorable au salarié
Ainsi, la rémunération d’un salarié était constituée d’une somme fixe mensuelle de 2 820 € et d’une partie variable annuelle maximale de 48 960 €.
Après plusieurs années, l’employeur avait augmenté sa rémunération fixe mensuelle de 2 820 € à 5 000 € et lui avait attribué une prime annuelle de 22 000 € payable en plusieurs fois l’année suivante.
Le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant cette modification unilatérale à son employeur.
Ce dernier soutenait que la modification de sa rémunération s’avérait plus favorable à l’intéressé et qu’à aucun moment il n’avait contesté tant l’augmentation du fixe que le montant de la prime annuelle.
La Cour de cassation donne raison au salarié.
Elle énonce que la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant, ni dans sa structure sans son accord, peu important que le nouveau montant soit plus avantageux.
Le salarié n’ayant pas accepté de manière claire et non équivoque une modification du montant et de la structure de la rémunération variable contractuellement prévue, celle-ci ne pouvait valablement produire effet (Cass. soc. 21 juin 2023 n° 22-12930).
Cette solution ne cède pas devant l’existence d’un accord collectif
C’est la précision que vient de fournir la Haute juridiction.
Un salarié est engagé d’abord en CDD, puis en contrat à durée indéterminée, par la société France 2 en qualité de responsable de la mise à l’antenne des bandes annonces.
Sa rémunération mensuelle est fixée de façon forfaitaire, hors primes et indemnités.
Quelques années plus tard, un accord collectif est conclu dans l’entreprise, à l’issue duquel la rémunération de l’intéressé est scindée en un salaire de base, dont le taux était diminué pour y intégrer une prime d’ancienneté, entrainant de fait une diminution du salaire qu’il perçoit.
Le salarié conteste l’application de cet accord collectif qui a eu pour effet la baisse de salaire.
Il obtient satisfaction en appel, la Cour d’appel jugeant que le mode de rémunération contractuelle du salarié avait été modifié dans sa structure sans son accord.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, saisie par l’employeur, confirme cette solution et énonce que, « sauf disposition légale contraire, un accord collectif ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l’accord exprès du salarié » (Cass. Soc. 15 sept. 2021 n° 19-15732).
Si elle reprend, et précise sa position, en exigeant un accord exprès (et non tacite) du salarié, elle introduit toutefois une exception : ce n’est que lorsqu’existe une disposition légale qui l’autorise, qu’un accord collectif peut permettre à l’employeur de modifier les termes du contrat de travail sans avoir préalablement obtenu l’accord du salarié.
Autrement dit, l’existence de l’accord collectif ne suffit pas, à elle seule, pour justifier une diminution de salaire.
Seule exception : lorsqu’existe une disposition légale qui l’autorise
En l’état du droit actuel, il semble donc que seul un accord de performance collective puisse valablement permettre une telle dérogation.
L’article L 2254-2 du Code du travail dispose en effet, qu’afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi, un accord de performance collective peut, notamment, aménager la rémunération des salariés dans le respect des salaires minima hiérarchiques.
Il convient donc de vérifier que les conditions légales sont bien respectées, sachant, on l’aura bien compris, que l’ aménagement qui résulte de cet accord est rarement favorable aux salariés…