Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Une protection également accordée au père de l’enfant

Les décisions prononçant la nullité du licenciement d’un père, congédié pendant la période de protection faisant suite à la naissance de son enfant, ne sont pas si nombreuses et méritent donc qu’on s’y attarde un instant.

Le père bénéficie désormais, en parallèle à celui de la mère, d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant (en cas d’adoption) d’une durée qui a été portée à 25 jours calendaires (ou 32 en cas de naissances multiples) (article L 1225-35 du Code du travail).

Il se voit accorder en outre une période de protection contre le licenciement faisant immédiatement suite à la naissance de son enfant.

L’employeur ne peut en effet rompre son contrat de travail pendant les dix semaines qui suivent cet événement.

Cette protection ne cède qu’en cas de faute grave de l’intéressé ou de l’impossibilité, pour l’employeur, de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant (article L 1225-4-1 du Code du travail).

On se souvient cependant que la Cour de cassation avait refusé d’accorder au père la protection contre les actes préparatoires qu’elle reconnaît à la mère (Cass. Soc. 30 sept. 2020 n° 19-12036).

L’impossibilité de maintenir le contrat de travail, interprétée strictement

La jurisprudence applicable aux mères se montre très restrictive sur l’interprétation de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.

Elle considère notamment que, ni une fin de chantier, ni un motif économique ne caractérisent en eux-mêmes cette impossibilité.La durée de la protection légale est de 10 semaines après la naissance de l'enfant

En revanche, une cessation d’activité de l’entreprise parait pouvoir répondre à une telle impossibilité.

La Cour de cassation exige en outre que cette impossibilité soit expressément mentionnée dans la lettre de licenciement (Cass. Soc. 25 mai 2011 n° 09-72613).

Ces solutions sont manifestement transposables au père de l’enfant.

Précisons que la sanction de la méconnaissance par l’employeur de ces exigences légales a pour conséquence la nullité du licenciement du salarié (article L 1225-70 du Code du travail).

Les faits de l’affaire

Un salarié, responsable commercial d’une entreprise, est convoqué par lettre du 4 janvier 2018 à un entretien préalable à son licenciement, puis licencié le 24 janvier pour cause réelle et sérieuse.

L’employeur lui reproche des manquements dans l’exécution de son contrat de travail, qui paraissent procéder d’une insuffisance professionnelle.

Il n’invoque en tout état de cause aucune faute grave, ni impossibilité de maintenir le contrat.

L’intéressé avait, le 11 décembre précédent, informé l’employeur par lettre de la naissance prochaine de son enfant et sollicité à cette occasion l’attribution de congés de naissance et de paternité.

Sa fille nait le 10 janvier 2018.

Soutenant que son licenciement est intervenu pendant la période de protection légale, le salarié saisit la juridiction prud’homale de la nullité de son licenciement.

La chronologie est en effet accablante pour l’employeur, qui tente vainement de faire valoir qu’il n’aurait pas été valablement informé de la naissance de l’enfant.

Peine perdue, car il était établi qu’il avait félicité le salarié le 19 janvier 2018, lui réclamant un acte de naissance que ce dernier lui avait transmis par mail le jour même.

La Cour d’appel juge en conséquence que le licenciement, intervenu pendant la période de protection légale, sans que l’employeur ait justifié d’une faute grave du salarié ou de son impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant est nul (Cass. Soc. 27 sept. 2023 n° 21-22937).

Les conséquences de la nullité du licenciement

La nullité du licenciement offre deux possibilités au salarié.

Il peut demander soit la réparation de la rupture illicite de son contrat de travail, et bénéficier d’une indemnité d’un montant minimum de 6 mois de salaire, soit la poursuite du contrat de travail, c’est à dire sa réintégration dans l’entreprise accompagnée d’une indemnité d’éviction et d’une indemnité pour violation du statut protecteur (article L 1235-3-1 du Code du travail).

Ce n’est qu’en cas d’impossibilité de l’employeur, interprétée ici aussi strictement, que la réintégration peut être refusée au salarié qui la demande.

La deuxième solution est néanmoins beaucoup plus avantageuse financièrement pour le salarié.

Elle peut en outre être considérée comme une réparation de l’affront qu’il a subi.

Elle constitue un désaveu cinglant pour l’employeur, qui se trouve contraint de reprendre le salarié qu’il a licencié alors qu’il souhaitait l’écarter.

Dans notre affaire, la Cour d’appel avait refusé d’ordonner la réintégration du salarié, qui la demandait, pour une raison de procédure.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure la décision sur ce point.

Elle rappelle que le salarié dont le licenciement est nul est en droit de demander sa réintégration, ce dont il résulte que cette demande et la demande de dommages-intérêts pour violation de son statut protecteur sont la conséquence de sa demande de nullité du licenciement.

Le salarié obtient donc une victoire complète.

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