Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Le harcèlement sexuel : une entrée tardive dans le code du travail
Après avoir longtemps minoré son existence et négligé sa répression, la notion de harcèlement sexuel a fait une entrée tardive en droit du travail.
Si la parole des salarié(e)s se libère progressivement, la victime d’un harcèlement sexuel commis par un collègue ou un supérieur hiérarchique se heurtera souvent à des obstacles afin d’obtenir de l’employeur qu’il fasse cesser ce comportement et sanctionne son auteur.
La pression exercée explicitement ou implicitement par un supérieur hiérarchique, qui jouera de son ascendant pour intimider ou menacer de représailles, n’est dans ce contexte pas la moindre des épreuves à surmonter pour la salariée en butte à ces agissements.
Il lui est donc vivement conseillé de ne pas rester isolée face à une situation de cette nature et d’en parler non seulement à son entourage proche mais également d’évoquer la situation auprès d’instances dédiées (médecin du travail, membres du CSE, inspection du travail…) qui pourront lui apporter un soutien nécessaire et l’encourager à porter à la connaissance de l’employeur les agissements dont elle est victime.
Rappelons à cet égard que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qui lui impose, lorsqu’un(e) salarié(e) est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, de prendre des mesures en vue de faire cesser ces agissements (Cass. Soc. 3 fév. 2010 n° 08-44019).
L’article L 1153-1 du Code du travail précise que le harcèlement sexuel est constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Y est assimilée toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
La salariée harcelée se contente de rapporter les faits, elle n’a pas à en établir la preuve
Au regard de cette qualification, la Chambre sociale de la Cour de cassation a apporté des précisions sur les éléments de preuve qui doivent être pris en considération par les juridictions prud’homales, en adoptant une approche similaire à celle qu’elle retient en matière de harcèlement moral.
Elle énonce en effet que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement sexuel, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement (Cass. Soc. 8 juill. 2020 n° 18-23410).
L’appréciation des Juges porte donc sur l’ensemble des éléments de fait présentés par le salarié, pris dans leur globalité (témoignages de collègues, mails, SMS, éléments médicaux…).
Deux illustrations permettent d’apprécier la portée de la jurisprudence :
Dans une première affaire, une salariée avait été licenciée pour faute grave, pour s’être plainte d’être victime de harcèlement sexuel.
Elle avait saisi la juridiction prud’homale de la contestation de son licenciement.
La salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l’employeur l’avait sanctionné par un avertissement pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée.
La Cour d’appel l’avait cependant déboutée, ces magistrats estimant que les éléments qu’elle présentait, considérés dans leur ensemble, s’ils constituaient un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissaient pas présumer l’existence d’un harcèlement sexuel.
Cette motivation est censurée par la Haute juridiction, qui reproche aux juges du fond, au regard des circonstances relatées, de ne pas avoir pris en considération tous les éléments présentés par la salariée.
Dans une seconde affaire, une salariée invoquant des faits de harcèlement sexuel avait pris acte de la rupture de son contrat de travail et saisi le Juge du contrat de travail afin qu’il soit jugé que sa prise d’acte produisait les effets d’un licenciement nul et condamner l’employeur à lui payer des indemnités de rupture ainsi que de dommages-intérêts liés au préjudice qu’elle avait subi.
Sa demande n’avait pas prospéré devant les juges du fond, qui avaient retenu que la prise d’acte était injustifiée et s’analysait en une démission.
La Cour de cassation confirme cette décision et s’en remet à l’appréciation souveraine de la Cour d’appel, qui avait d’une part constaté que certains des éléments de fait invoqués par la salariée comme susceptibles de constituer un harcèlement sexuel n’étaient pas établis et, d’autre part, s’agissant des autres faits qu’elle a examinés dans leur ensemble, estimé qu’ils ne permettaient pas de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel.
Pour autant, la Cour régulatrice réaffirme à cette occasion que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité, quand bien même les Juges retiendraient que les faits de harcèlement sexuel ne sont pas établis.
Elle reproche à la Cour d’appel d’avoir adopté un raisonnement erroné en considérant que les seules déclarations de la salariée n’étant pas suffisantes pour établir l’existence de faits de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral, il n’y avait donc pas lieu d’examiner si un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité était à l’origine du harcèlement sexuel et moral invoqué.
La Chambre sociale de la Cour de cassation juge au contraire que l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et des agissements de harcèlement sexuel et ne se confond pas avec elle (Cass. Soc. 8 juill. 2020 n° 18-24320).
Ainsi, la circonstance que les faits de harcèlement sexuel ne soient pas établis n’exonère pas l’employeur de l’obligation de sécurité à laquelle il reste assujetti.