Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le contexte

Il est toujours très risqué pour un salarié de faire connaître à l’extérieur des informations concernant son entreprise, plus encore lorsqu’il s’agit de dénoncer de graves dysfonctionnements qu’il y a constatés.

Mais un salarié vertueux, lassé d’assister à des agissements que la morale et l’éthique réprouvent, parvient parfois difficilement à s’accommoder de ces pratiques litigieuses et peut désespérer des gaspillages et dépenses injustifiées, voire s’offusquer d’avantages que s’accordent indument des privilégiés.

Lorsque la coupe est pleine, et après avoir longuement ressassé, le salarié cède alors à l’impulsion non seulement de dénoncer ces défaillances à l’employeur, mais d’en informer en outre des autorités disposant du pouvoir de sanctionner ces écarts.

De manière habituelle, la réaction de l’employeur ne se fait guère attendre… l’intéressé est licencié séance tenante pour faute grave, après s’être vu notifier une mise à pied à titre conservatoire !

Autant dire que la désillusion est à la hauteur de ses espoirs et que le rappel à la réalité est plutôt rude !

Le statut de lanceur d’alerte est restrictif et ne s’applique pas à toutes les dénonciations

Le Code du travail a certes renforcé ces dernières années le statut du lanceur d’alerte en le faisant bénéficier d’une protection contre le licenciement et autres sanctions (article L 1132-4).

Mais pour pouvoir se draper dans ce voile protecteur, encore est-il nécessaire de répondre aux exigences posées par la définition légale.

Le lanceur d’alerte est « une personne ayant témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » (article L 1132-3-3 du Code du travail).La violation de l'obligation de discrétion n'est pas nécessairement un motif de licenciement

Les faits relatés doivent donc répondre à la qualification de crime ou de délit, et en conséquence constituer des infractions pénales pour que le statut de lanceur d’alerte puisse s’appliquer.

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation est très rigoureuse à cet égard.

Elle vient au demeurant de préciser que les Juges doivent non seulement constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime, mais également que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que le salarié dénonçait de tels faits (Cass. soc. 1er juin 2023 n° 22-11310).

Force est d’observer que les malversations ou les agissements dénoncés peuvent révéler des défaillances contrevenant à des règles morales ou éthiques sans pour autant être répréhensibles pénalement.

Qu’en est-il alors lorsque les pratiques litigieuses dénoncées par un salarié sont illicites sans constituer un crime ou un délit ?

Les faits de l’affaire

Un chef comptable, travaillant pour une association qui œuvre dans le domaine médico-social, est licencié pour faute grave à la suite d’une lettre qu’il avait envoyée à son employeur.

Celle-ci comportait une liste impressionnante d’irrégularités relevées dans l’entreprise, allant de la suspicion d’écoutes téléphoniques internes à l’acquisition d’un logiciel très coûteux mais pas opérationnel, en passant par l’octroi de primes indues à la direction générale.

Le salarié avait en outre adressé une copie de sa missive au Directeur de l’agence régionale de santé, à l’inspection du travail, ainsi qu’à la médecine du travail.

Dans sa lettre de licenciement, l’employeur s’empressait de préciser qu’il ne lui reprochait nullement de s’être adressé à son autorité de tutelle, ni aux autres organismes, mais lui faisait grief de ses dénonciations.

Il considérait que celles-ci excédaient sa liberté d’expression et que le salarié avait violé l’obligation de discrétion qui figurait dans son contrat de travail.

L’intéressé avait saisi la juridiction prud’homale de la contestation de son licenciement.

Mais la Cour d’appel avait validé son licenciement, estimant qu’il avait violé l’obligation de discrétion prévue contractuellement et outrepassé sa liberté d’expression en discréditant l’association qui l’employait auprès des destinataires de son courrier.

La liberté d’expression s’exerce sauf abus, qui n’était pas caractérisé en l’espèce

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cette motivation.

Elle rappelle que la liberté d’expression du salarié est la norme et l’abus l’exception.

Sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, qu’il appartient au juge de caractériser, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Cette affirmation s’appuie sur une jurisprudence constante combinée aux dispositions de l’article L 1121-1 du Code du travail.

La Haute Juridiction énonce en l’espèce que le salarié avait divulgué, en des termes qui n’étaient ni injurieux, ni diffamatoires ou excessifs, les informations qu’à un nombre limité de personnes.

Ces personnes étaient elles-mêmes soumises à une obligation de confidentialité et disposaient d’un pouvoir de contrôle sur l’employeur, ce dont il résultait que l’interdiction de leur divulgation n’était ni justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché (Cass. Soc. 17 mai 2023 n° 21-19832).

Le licenciement du salarié est donc injustifié.

Petit rappel concernant l’obligation de confidentialité

On signalera pour terminer qu’il convient d’observer prudemment l’obligation de confidentialité lorsqu’elle s’applique, en particulier à l’égard du secret des affaires.

La Cour de cassation ayant, on s’en souvient, confirmé le licenciement pour faute grave d’une salariée ayant publié sur sa page Facebook des informations confidentielles, au motif que cette publication caractérisait un manquement de l’intéressée à son obligation contractuelle de confidentialité (Cass. Soc. 30 sept. 2020 n° 19-12058).

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