Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Les conditions de travail, les relations avec son responsable hiérarchique ou avec son employeur, peuvent légitimement constituer des sujets de mécontentement pour un salarié

Si la critique est admise, l’expression de ce mécontentement n’est pas complétement libre et se heurte à certaines limites.

On se souvient en effet que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

La jurisprudence considère que des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs sont de nature à faire dégénérer en abus la liberté d’expression accordée au salarié dans l’entreprise (3 juill. 2012 n° 11-10793).

On se saurait au demeurant que trop exhorter les salariés à utiliser avec parcimonie les réseaux sociaux comme déversoir de leurs difficultés professionnelles, et de ne pas y formuler de critiques exprimées en termes trop vifs à l’égard de leur employeur.

Il n’est en effet pas rare que les réseaux sociaux soient scrutés attentivement et que les excès parviennent aux oreilles et à la vue de l’employeur.

Des insultes ou propos outrageants qui seraient accessibles à tous, sans filtre, sur Facebook ou Twitter…, exposeraient incontestablement leur auteur au pouvoir disciplinaire de l’employeur et pourraient, le cas échéant, constituer un motif de licenciement pour faute, selon leur degré de gravité.

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation ne permet pas d’établir une ligne directrice univoque entre les critiques tolérées et celles qui ne le sont pas

Les décisions, qui sont laissées à l’appréciation souveraine des Juges du fond, procèdent d’un examen au cas par cas, où les fonctions, l’ancienneté du salarié, son absence de sanction antérieure et le contexte dans lequel les propos litigieux ont été exprimés, sont pesées au trébuchet.

Quelques illustrations, non exhaustives, permettront s’en faire une idée plus précise :

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Un magasinier cariste ayant 10 ans d’ancienneté, avait été licencié pour faute grave, l’employeur lui reprochant d’avoir prétendu que le directeur général de la société, serait viré en raison des mauvais résultats de l’entreprise dus à sa mauvaise gestion. Selon lui, cette affirmation s’analysait comme la propagation d’une fausse nouvelle ainsi qu’un dénigrement à l’encontre de la direction générale de l’entreprise.

Ce licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel ayant justement estimé que si le salarié s’était fait l’écho d’une fausse information, la preuve n’était pas apportée qu’il en était à l’origine, ni qu’en la reprenant il avait agi avec malveillance, que les propos litigieux, sans portée réelle, n’avaient pas perturbé le fonctionnement de l’entreprise et qu’ils s’inscrivaient dans une relation contractuelle de dix années sans que puissent être valablement invoqués par l’employeur des faits antérieurs (Cass. Soc. 6 mars 2012 n° 10-20983).

Un cadre technicien outillage ayant 16 ans d’ancienneté, avait été licencié pour faute grave pour avoir notamment dénigré son employeur.

Le salarié lui avait en effet adressé une lettre par laquelle il se disait « dans l’attente d’une réaction sensée et rapide », qui s’ajoutait à un courriel, accessible à tous les salariés sur la messagerie de la société, dans lequel il dénonçait son incompétence et lui conseillait de changer de métier.

Retenant la familiarité de ton qui existait entre l’intéressé et son employeur et l’absence d’avertissement antérieur en raison de ses excès de langage, la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, en avait déduit que le salarié avait certes, par ces propos injurieux et excessifs, abusé de sa liberté d’expression, mais avait requalifié le licenciement en cause réelle et sérieuse, et non faute grave (Cass. Soc. 29 fév. 2012 n° 10-15043).

Un couvreur ayant moins d’un an d’ancienneté, se voyant notamment reprocher par son employeur d’avoir dénigré publiquement l’entreprise en la comparant à une « boîte de merde » et à une « boîte de cons », d’avoir porté des accusations mensongères à l’encontre d’un collègue de travail pour prendre sa place, avait été licencié pour faute lourde au motif de son intention de nuire.

Les juges du fond avaient cependant relevé que les propos indélicats du salarié exprimaient un sentiment d’insatisfaction plutôt qu’une volonté de porter atteinte aux intérêts de l’entreprise, qu’ils ne contenaient aucune dénonciation précise et que les accusations mensongères avaient le caractère d’anecdotes échangées entre collègues, en avait déduit que ces faits ne constituaient ni une faute lourde ni même une faute grave et que le licenciement ne procédait pas d’une cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 13 juill. 2016 n° 15-12430).

Le licenciement d’un salarié pour faute lourde (nécessitant l’intention de nuire) :

Enfin, dans une dernière décision, un salarié protégé, en conflit ouvert avec son employeur avait été licencié pour faute lourde après qu’il se soit plaint publiquement de harcèlement moral.

La Haute juridiction considère, dans un premier temps, que les accusations de harcèlement formulées par le salarié à l’encontre de son responsable hiérarchique et de deux de ses collègues, étaient soit très générales et imprécises, soit exagéraient volontairement des faits et étaient en lien avec un différend personnel, d’autre part que l’accusation de discrimination formulée par courrier puis par voie de presse contre son employeur reposait sur des éléments sciemment sortis de leur contexte et présentés de manière caricaturale pour certains et totalement contradictoires pour d’autres.

Elle approuve la Cour d’appel d’avoir retenu la qualification de faute lourde, au motif que le salarié avait sciemment organisé une conférence de presse destinée à « ternir l’image » de son employeur au cours de laquelle il avait porté des accusations infondées de harcèlement moral et de faits de discrimination dénaturés et volontairement sortis de leur contexte, ce qui caractérisait une intention de nuire (Cass. Soc. 5 juill. 2018 n° 17-17485).

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