Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à indemnisation

Le dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire ouvre droit à une indemnisation, sans que le salarié ait à démontrer l’existence d’un préjudice spécifique, celui-ci résultant nécessairement de cette surcharge de son temps de travail.

Cette nouvelle décision de la chambre sociale de la Cour de cassation est la bienvenue dans un contexte où l’exigence de la démonstration d’un préjudice a tendance à devenir l’unique critère d’appréciation des juridictions prud’homales.

Le Code du travail précise les durées de travail quotidienne et hebdomadaire admissibles.

Ainsi, la durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder 10 heures (article L 3121-18).

Au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures (article L 3121-20), sachant qu’elle ne peut excéder 44 heures calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives (article L 3121-22).

Précisons en outre que la jurisprudence considère qu’en matière de repos hebdomadaire, c’est à l’employeur d’établir qu’il a rempli ses obligations.

La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur (Cass. soc. 14 déc. 2022 n° 21-18139).

De nombreux salariés ont une durée de travail qui excède, de manière exceptionnelle ou habituelle, les durées de travail prescrites par la Loi

Ils sont donc fondés à demander, outre le paiement des heures supplémentaires qu’ils ont exécutés, une indemnité en raison de ce temps du travail excédentaire qu’ils ont réalisé.contrat de sécurisation professionnelle

L’affaire soumise à la Cour de cassation concernait un salarié, chauffeur-livreur, qui avait travaillé sans compter ses heures, mais dont l’employeur avait rompu la période d’essai en raison « d’une insuffisance de résultats ».

Il demandait au Juge prud’homal de condamner son employeur à lui verser une indemnité pour violation de la durée maximale du travail, au titre d’une semaine où il avait travaillé 50,45 heures.

La démonstration de l’existence d’un préjudice n’est ici pas nécessaire

Sa demande avait été rejetée par la Cour d’appel, qui lui reprochait de ne pas avoir démontré très exactement en quoi ces horaires chargés lui avaient porté préjudice.

Rappelons que depuis un détestable arrêt d’avril 2016, les Juges font peser une exigence forte sur les salariés en leur faisant obligation d’établir l’existence d’un préjudice propre, celui-ci ne pouvant résulter du seul manquement commis par l’employeur (Cass. Soc. 13 avril 2016 n° 14-28293).

Or, cette règle est ici écartée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Elle s’appuie sur une directive européenne (directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail) et sur son interprétation par le Juge communautaire qui retient que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire constitue en tant que tel une violation sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique.

A sa suite, elle énonce que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation (Cass. Soc. 26 janv. 2022 n° 20-21636).

Cette solution, désormais maintes fois établie, a été réaffirmée à plusieurs reprises (Cass. soc. 8 nov. 2023 n° 22-19080).

Absence de repos et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

La Cour de cassation a également jugé qu’un employeur avant commis un manquement à son obligation de sécurité, prévue par les dispositions de l’article L 4121-1 du Code du travail en ayant fait travailler un salarié sans repos suffisant.

Elle relève tout d’abord que le temps de repos entre deux services ne peut être inférieur à douze heures.

Puis affirme avec force que le seul constat que le salarié n’a pas bénéficié du repos journalier de douze heures entre deux services ouvre droit à réparation (Cass. soc. 7 fév. 2024 n° 21-22809).

Quid pour les salariés en forfait jours ?

Cette affaire concernait un salarié dont la durée de travail ne ressortait pas d’un contrat de travail soumis à une convention de forfait en jours sur l’année.

Cela étant, les salariés dont la relation de travail est régie par une convention de forfait jours ne dérogent pas aux exigences légales.

La Cour de cassation se montre, avec constance, sourcilleuse sur le fait que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires » (Cass. Soc. 16 oct. 2019 n° 18-16539).

A défaut de répondre à cet impératif, la convention de forfait en jours conclue est nulle, cette annulation permettant au salarié de prétendre au paiement des heures supplémentaires qu’il a accomplies.

durée temps de travailQu’en est-il en cas de dépassement du nombre de jours prévus par la convention ?

La convention détermine le nombre de jours de travail par an, ainsi que le nombre de jours de RTT auquel le salarié aura droit.

Mais lorsque le salarié travaille un nombre de jours annuels supérieur à ce que la convention stipule, ce dépassement a-t-il pour conséquence de provoquer l’annulation du forfait jours et le paiement d’heures supplémentaires qui en découle le cas échéant… ?

Ce n’est pas la solution retenue par la Cour régulatrice.

Elle considère que la validité du forfait jours n’est pas remise en cause par ce dépassement.

Elle a en effet jugé que « la circonstance que le cadre dépasse le nombre de jours prévus par le forfait n’emporte ni la nullité de la convention de forfait, ni son absence d’effet » (Cass. Soc. 24 oct. 2018 n° 17-12535).

En revanche, le salarié est fondé à obtenir des dommages intérêts liés au dépassement du forfait en jours (Cass. Soc. 4 nov. 2021 n° 19-25615).

Qui plus est il importe de souligner que l’article L 3121-61 du Code du travail dispose que lorsqu’un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause conventionnelle ou contractuelle contraire, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l’entreprise, et correspondant à sa qualification

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