Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Une autorisation de licenciement nécessaire

Les salariés protégés ne sont pas tout à fait des salariés comme les autres… en ce sens où ils bénéficient « dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle », selon une formule consacrée par une jurisprudence établie.

Pour les mettre à l’abri des mauvais coups de l’employeur, et notamment en cas de licenciement, le code du travail prévoit en effet que celui-ci doit au préalable obtenir une autorisation de licenciement de l’inspecteur du travail, qui s’assure que cette décision n’est pas en lien avec le mandat qu’exerce le salarié.

Le licenciement pour inaptitude n’échappe pas à ces dispositions, de sorte qu’après que le médecin du travail ait rendu un avis d’inaptitude définitive et que l’employeur ait affirmé qu’aucun reclassement de l’intéressé n’était possible, il appartient à l’inspecteur du travail d’autoriser, ou non, le licenciement.

En cas de litige, une double compétence, administrative et judiciaire

Le rôle dévolu à l’inspecteur du travail consiste à « rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu’elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l’emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé, des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi, et de la possibilité d’assurer son reclassement dans l’entreprise » (Conseil d’État, 20 nov. 2013 n° 340591).

Là s’arrête son contrôle, en particulier il ne lui appartient pas de rechercher la cause de l’inaptitude, quelle qu’elle soit.

Lorsque le salarié conteste son licenciement, une ligne de partage fixée par les règles de séparation des pouvoirs s’établit entre les ordres de juridiction administratif et judiciaire.

Le juge administratif examinera la réalité de l’inaptitude et vérifiera si toutes les conditions propres au reclassement ont été respectées par l’employeur, la juridiction prud’homale se penchera sur les causes de l’inaptitude et sur la part de responsabilité qu’a pu y tenir le cas échéant l’employeur.

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère en effet que l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations (Cass. Soc. 27 nov. 2013 n° 12-20301).

Harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité sont notamment de la compétence prud’homaleavocat indemnités prud'hommes

C’est ainsi qu’une salariée protégée dont le licenciement avait été autorisé par l’inspection du travail avait obtenu des dommages pour perte de son emploi devant la juridiction prud’homale, après que les magistrats aient constaté que l’inaptitude ayant conduit à son licenciement était la conséquence du comportement de l’employeur qui s’était rendu coupable d’actes de harcèlement moral et de discrimination liée à l’âge et à son état de santé.

Il a également été jugé qu’un salarié pouvait prétendre à l’octroi de dommages-intérêts pour rupture abusive fondée sur les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude (Cass. Soc. 17 oct. 2018 n° 17-17985).

Articulation avec une résiliation judiciaire

Lorsqu’un salarié protégé impute à son employeur de graves manquements qu’il estime de nature à empêcher la poursuite de la relation contractuelle, notamment lorsqu’il est victime de harcèlement moral ou de manquement à l’obligation de sécurité, il demande au juge, prud’homal en l’occurrence, d’en tirer les conséquences qui s’imposent en prononçant la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.

Mais quand, postérieurement à cette action, le salarié, qui était en arrêt maladie depuis plusieurs mois est licencié pour inaptitude, quels sont les pouvoirs du juge judiciaire ?

Une récente décision répond à cette interrogation et trace la frontière entre chaque ordre juridictionnel.

Une salariée, déléguée du personnel suppléante, saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, reprochant à son employeur des faits de harcèlement moral ; elle requiert sa condamnation au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (elle fait le choix de ne pas demander la nullité).

Un an plus tard, elle est licenciée pour inaptitude, après que l’inspecteur du travail ait autorisé son licenciement.

La Cour d’appel statue sur sa demande de résiliation judiciaire et y fait droit, jugeant le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et condamnant l’employeur à lui verser une certaine somme à ce titre.

L’employeur forme alors un pourvoi, considérant que le juge judiciaire avait excédé son seuil de compétence.

La chambre sociale de la Cour de cassation, dans une décision très pédagogique, confirme la solution et énonce que « …L’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge (judiciaire) ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d’une autorisation administrative de licenciement accordée à l’employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ».

En conséquence, bien que la salariée ait été licenciée pour inaptitude, les Juges du fond ayant retenu qu’elle avait fait l’objet d’un harcèlement moral à l’origine de cette inaptitude, ont pu en déduire qu’ils étaient compétents, même en présence d’une autorisation de licenciement pour inaptitude, pour lui accorder une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 22 sept. 2022 n° 19-24051).

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