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Clause de mobilité mise en œuvre de mauvaise foi par l’employeur

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Une mobilité entendue au sens large, et qui relève des conditions de travail

L’existence d’une clause de mobilité dans le contrat de travail, sous réserve de sa validité, permet à l’employeur de muter le salarié dans un autre lieu de travail lorsque l’intérêt de l’entreprise l’exige, la jurisprudence considérant qu’il s’agit là d’une simple modification des conditions de travail qui s’impose au salarié.

Dans sa définition habituelle,

« la clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d’application et elle ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée » (Cass. Soc. 7 juin 2006 n° 04-45846).

La chambre sociale de la Cour de cassation a cependant retenu une acception large de la clause de mobilité, puisqu’elle estime désormais qu’une clause de mobilité applicable « dans les établissements situés en France » constitue une définition précise de la zone géographique d’application, permettant valablement à l’employeur de muter un salarié d’un point à l’autre du territoire national, sans y voir de difficulté (Cass. Soc. 14 oct. 2008 n° 06-46400).

De sorte que les limites territoriales à une clause de mobilité sont toutes relatives…

Vie personnelle et familiale du salarié

Il est admis, en application des dispositions de l’article L 1121-1 du Code du travail, que le salarié puisse opposer à l’employeur l’atteinte que cette clause porte à son droit à une vie personnelle et familiale (Cass. Soc. 23 mars 2011 n° 09-69127).

Mais la jurisprudence en son dernier état vient atténuer cette sujétion, susceptible de céder devant « la nécessité pour l’employeur de procéder à la mutation de la salariée en raison de la réduction considérable et durable de l’activité à laquelle elle était affectée » (Cass. Soc. 14 fév. 2018 n° 16-23042).

Rappelons par ailleurs que l’employeur conserve, même en l’absence de clause de mobilité, le pouvoir de procéder à la mutation du salarié au sein d’un même secteur géographique, ou du même « bassin d’emploi », notions dont les contours flous relèvent de l’appréciation du Juge.

Le pouvoir de direction de l’employeur n’est pas exempt de limite et son abus l’expose à être sanctionné

Ainsi, un salarié dont le contrat de travail ne comportait pas de clause de mobilité exerçait des fonctions de directeur régional dans la région Sud-ouest depuis de nombreuses années.clause de mobilité

Son employeur lui avait imposé un changement de secteur en lui attribuant la région Sud-est.

Incontestablement, ces deux régions constituaient deux secteurs géographiques différents, de sorte que cette mobilité procédait d’une modification du contrat de travail nécessitant l’accord de l’intéressé.

L’employeur avait manifestement balayé cet argument et, sûr de son pouvoir de direction, avait imposé au salarié ce changement de lieu d’affectation sans souffrir la contradiction.

Arrive alors un moment de la confrontation où le salarié est placé face au choix de conserver son emploi en obtempérant ou d’être licencié… en l’occurrence, il avait privilégié la sécurité de son emploi.

Un an plus tard (l’histoire ne précise pas quelle en est la cause), il était licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Devant la juridiction prud’homale, il sollicitait la condamnation de son employeur à lui payer des dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en raison de l’entorse qu’il avait commise.

Les juges du fond l’en avait débouté, estimant, avec une motivation douteuse, que l’employeur justifiait avoir procédé à la réorganisation de ses secteurs géographiques d’activité pour une cause légitime et que le changement de région attribué à l’intéressé relevait de son pouvoir de direction sans que son consentement soit nécessaire.

Cette décision est censurée, la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeant à bon droit qu’en l’affectant à la région Sud Est, l’employeur avait opéré un changement de secteur géographique, ce dont il résultait que cette mutation, qui n’avait pas un caractère temporaire, constituait une modification du contrat de travail du salarié (Cass. Soc. 17 fév. 2021 n° 19-2201).

Sa demande de dommages-intérêts au titre de la modification unilatérale du contrat de travail est en conséquence fondée.

Dans une autre illustration, un employeur avait ignoré le délai de prévenance prévu par la convention collective

Le salarié, « responsable gestion des contrats de prévoyance funéraire », statut cadre, avait un contrat de travail comprenant une clause de mobilité prévoyant un changement d’affectation lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifiait.

S’en prévalant, l’employeur lui avait alors adressé une lettre l’informant de la mise en œuvre de sa clause de mobilité et de sa nouvelle affectation de la direction Nord, où il se trouvait, à la nouvelle délégation Nord-Est, en raison d’une réorganisation de l’entreprise, à effet immédiat.

Cette correspondance ignorait l’application d’un délai de prévenance, que le contrat de travail ne stipulait d’ailleurs pas.

Le salarié se référait à la convention collective qui fixait un délai de prévenance d’un mois avant la mise en œuvre de la clause de mobilité.

Devant son insistance à voir ce délai de prévenance observé, l’employeur l’avait licencié pour faute grave au motif du refus d’extension de son secteur d’activité en dépit d’une clause de mobilité contenue dans son contrat de travail, ce refus s’analysant en une insubordination caractérisée.

Licenciement heureusement jugé sans cause réelle et sérieuse, en raison du non-respect par l’employeur du délai de prévenance conventionnel d’un mois (Cass. Soc. 4 mars 2020 n° 18-24329).

On signalera, pour conclure, que la mutation du salarié ne doit pas être utilisée comme un moyen détourné par l’employeur pour sanctionner un salarié, sous peine de dégénérer en abus.

Il a ainsi été jugé que la mutation d’un salarié, qui l’éloignait du lieu où il travaillait depuis près de six ans, était motivée par son refus de se soumettre à une réduction de son temps de travail et par conséquent de sa rémunération, que le nouvel employeur voulait lui imposer.

Il en résultait que celui-ci avait mis en œuvre la clause de mobilité de manière déloyale pour sanctionner un salarié qui s’opposait à juste titre à une modification de son contrat de travail, de sorte que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 5 mars 2014 n° 12-28661).