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Rupture abusive de la période d’essai, quelles conséquences ?

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

La durée de la période d’essai, renouvellement inclus ou non

La période d’essai est ce moment d’incertitude qui plane au-dessus de la tête de la plupart des salariés ayant conclu un contrat de travail, dans l’attente et avec l’espoir que leur relation de travail se poursuive de façon pérenne.

Sa durée, qui est déterminée par le contrat de travail ou par renvoi à la convention collective, varie entre deux et quatre mois, selon la catégorie à laquelle le salarié appartient (ouvrier, employé, agent de maîtrise ou cadre).

Le renouvellement est possible une fois, pouvant ainsi porter sa durée maximale à 8 mois pour les cadres, à la condition toutefois que ce renouvellement soit expressément prévu par le contrat de travail (article L 1221-23 du code du travail).

La validité de ce renouvellement implique également qu’il soit prévu par une convention collective l'employeur décide de manière discrétionnaire la validation de la période d'essaiétendue, s’imposant ainsi à toutes les entreprises relevant de ce secteur d’activité.

La jurisprudence exige en outre une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié au renouvellement de sa période d’essai, sa signature sur un document établi par l’employeur n’étant pas nécessairement suffisante (Cass. Soc. 25 nov. 2009 n° 08-43008).

De sorte, par exemple, que la seule apposition de la mention « accord », avec une signature du salarié sur un entretien d’évaluation établi par l’employeur, ne suffit pas à caractériser une manifestation de volonté claire et non équivoque de l’intéressé à la prolongation de sa période d’essai (Cass. Soc. 8 juin 2022 n° 21-11980).

L’objet de la période d’essai : l’évaluation des compétences du salarié

Le code du travail dispose que la période d’essai ne saurait avoir d’autre objet pour l’employeur que d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et pour le salarié, d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent (article L 1221-20).

Il s’agit donc pour l’employeur, uniquement d’apprécier au cours de la période d’essai la valeur professionnelle du salarié et s’il dispose des compétences requises pour le poste qui lui a été confié.

Il a ainsi été jugé, à propos d’une salariée ayant, précédemment à la conclusion de son contrat de travail, collaboré avec son employeur plusieurs mois sous un statut d’indépendante, que la rupture de sa période d’essai était abusive.

L’employeur ayant en effet eu l’occasion d’apprécier les aptitudes professionnelles de l’intéressée lors de la précédente relation de travail (Cass. Soc. 29 avril 2025 n° 23-22389).

Il a également été jugé que les difficultés financières d’un employeur, postérieurement à l’embauche d’un salarié, et la suppression de son poste ne constituait pas davantage un motif valable de rupture de la période d’essai.

La résiliation du contrat de travail étant intervenue pour un motif non inhérent à la personne du salarié (Cass. Soc. 20 nov. 2007 n° 06-41212).

Quelle réparation en cas de rupture abusive de la période d’essai ?

Précisons tout d’abord que la rupture de la période d’essai n’est pas un licenciement.

L’employeur n’est donc pas tenu de respecter la procédure applicable à ce mode de rupture du contrat de travail et n’a pas de formalisme spécifique à respecter, sauf lorsque la convention collective l’exige.

Il n’a pas non plus l’obligation de justifier la raison pour laquelle il a mis un terme à la période d’essai du salarié.

La jurisprudence considère que « l’employeur peut discrétionnairement mettre fin aux relations contractuelles avant l’expiration de la période d’essai, sous la réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus »

Le caractère discrétionnaire de la résiliation du contrat de travail a pour limite un abus de l’employeur.

En conséquence, le salarié qui souhaite contester la validité de la rupture de sa période d’essai devra faire la démonstration que celle-ci était abusive, la charge de la preuve lui incombant.

Cela nécessitera qu’il produise des pièces écrites précises et des éléments tangibles au soutien de son affirmation.

S’il convainc la juridiction prud’homale du caractère abusif de la rupture de sa période d’essai, il pourra obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Le salarié se verra allouer des dommages intérêts en réparation du préjudice qu’il a subi.

Ceux-ci seront évalués selon les circonstances (débauche de son précédent emploi, période de chômage, difficulté à retrouver un emploi…).

Nullité de la rupture de la période d’essai fondée sur un motif discriminatoire

Il arrive également que la rupture de la période d’essai soit fondée sur un motif discriminatoire.

Une des illustrations les plus fréquentes est la rupture en raison de l’état de santé du salarié.

En effet, le fait qu’un salarié tombe malade pour une longue durée au cours de sa période d’essai est rarement vu d’un bon œil par l’employeur.

La durée de la période d’essai est alors prolongée pour une durée équivalant à celle de la durée de l’arrêt maladie.

Nullité de la période d'essai fondée sur un motif discriminatoireOr, les cas ne sont pas rares où après un arrêt maladie de plusieurs mois, le salarié qui se présente pour reprendre son emploi voit sa période d’essai aussitôt interrompue, l’employeur invoquant subitement son insatisfaction du travail accompli par l’intéressé (dont il louait jusqu’à présent la qualité du travail…).

Il est également vivement recommandé aux salariées qui découvrent qu’elles sont enceintes au cours de leur période d’essai de ne pas en informer oralement leur employeur.

Il est fort à craindre qu’il ne partage pas la joie de cet événement et écourte rapidement la période d’essai, la perspective d’une naissance étant associée à une moindre disponibilité de la salariée.

Si celle-ci a communiqué cette information par écrit, et qu’elle détient des éléments factuels pour l’affirmer, elle pourra soutenir que cette rupture présente en caractère discriminatoire fondé sur son état de grossesse.

L’indemnisation du salarié victime d’une rupture de période d’essai discriminatoire

La sanction de la rupture d’une période d’essai fondée sur un motif discriminatoire est sa nullité.

Il en résulte que le salarié peut prétendre à la réparation du préjudice causé par la nullité de la rupture de son contrat de travail.

La Cour de cassation considère toutefois qu’il ne s’agit pas d’un licenciement nul, ce qui prive le salarié de l’indemnité prévue par le Code du travail dans cette hypothèse, qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire (Cass. Soc. 25 juin 2025 n° 23-17999).

Elle en déduit également que le salarié ne peut pas non plus se voir octroyer l’indemnité de préavis, applicable au licenciement (Cass. Soc. 12 sept. 2018 n° 16-26333).

En revanche, le salarié qui le demande peut obtenir sa réintégration dans l’entreprise.

Cette solution est intéressante pour le salarié car elle lui donne droit au paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration.

En outre, si la nullité était causée par une violation du droit à la santé du salarié, qui constitue une liberté fondamentale, il n’y aura pas lieu de déduire les salaires ou revenus de remplacement qu’il aura perçus pendant cette période (Cass. Soc. 27 sept. 2023 n° 21-22449).