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Report des objectifs en cas d’impossibilité par l’employeur de les fixer

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Les objectifs doivent en principe être fixés en début d’exercice

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme une solution qu’elle avait déjà retenue et dont les implications pratiques ne sont pas négligeables.

On sait que dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur fixe unilatéralement des objectifs au salarié, qu’il peut modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (Cass. Soc. 2 mars 2011 n° 08-44977).

La Cour régulatrice énonce cependant que l’employeur, qui doit en principe fixer les objectifs annuels au salarié en début d’exercice, peut, lorsqu’il est dans l’impossibilité de les fixer, en reporter la communication à une date ultérieure.

Concrètement, lorsque le contrat de travail prévoit que le salarié bénéficiera d’un complément de rémunération à objectifs atteints ; ces objectifs, qui sont fixés pour une période annuelle, lui sont communiqués en début d’année, et fréquemment après la tenue d’un entretien annuel d’évaluation, qui a notamment eu pour but de vérifier si ceux de l’année écoulée ont été atteints.

Il importe, au demeurant, de préciser que si les objectifs assignés au salarié ne sont pas réalisables, il est fondé à considérer que l’employeur a commis un manquement d’une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, et justifier la rupture du contrat de travail à ses torts (Cass. Soc. 6 oct. 2016 n° 15-15672).

La Cour de cassation consacre donc désormais un tempérament à la règle imposant la fixation des objectifs en début d’exercice, lorsque des circonstances particulières rendent cette exigence impossible.

Sauf lorsque l’employeur démontre être dans l’impossibilité de le faire

L’affaire concernait un salarié dont le contrat de travail prévoyait une rémunération variable pouvant atteindre 20 % du salaire fixe annuel si les objectifs annuels étaient atteints.

Après avoir quitté l’entreprise le 30 avril 2014, le salarié qui n’avait pas bénéficié de sa rémunération variable au titre de l’année 2013/2014, en réclamait le paiement devant la juridiction prud’homale.

Il faisait valoir que les objectifs lui avaient été communiqués, non en début d’exercice, mais tardivement et qu’il ne devait pas être sanctionnée au motif que l’entreprise avait été confrontée à des difficultés en raison de sa réorganisation survenue en 2012.

L’argument, pourtant pertinent, n’a manifestement pas convaincu.

Impossibilité de fixer les objectifs en raison de difficultés liées à une réorganisation de l’entreprise

La Cour de cassation approuve en effet la cour d’appel d’avoir jugé que l’entreprise avait été confrontée à des difficultés en raison de la réorganisation évoquée, dont il est justifié, et que les modalités de calcul des bonus étaient justes et vérifiables, elle avait ainsi pu en déduire que l’employeur était dans l’impossibilité de fixer, en début d’exercice, des objectifs réalisables et pertinents (Cass. Soc. 3 mai 2018 n° 16-13736, Cass. Soc. 21 sept. 2017 n° 16-20426).

Reste une interrogation à laquelle il n’est pas répondu : la communication tardive des objectifs par l’employeur mettait-elle à la charge du salarié l’obligation de les remplir dans un délai raccourci, ou disposait-il d’une année entière pour les atteindre, décalant d’autant la période de référence ?

Il paraitrait injuste que le salarié soit pénalisé par une communication tardive de ses objectifs, écourtant de plusieurs mois la période de réalisation, alors que l’employeur porterait la responsabilité du retard.

La haute juridiction rappelle par ailleurs également dans cet arrêt que, conformément aux dispositions de l’article L 1321-6 du Code du travail, « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français ».

La Cour d’appel avait retenu que, compte tenu du caractère international de l’activité de l’entreprise, la communication de documents de travail en anglais n’était pas illicite.

Elle est censurée sur ce point au motif qu’il ne résultait pas de ses constatations que le salarié avait eu accès, sous quelque forme que ce soit, à un document rédigé en français fixant les objectifs permettant la détermination de la rémunération variable.