Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
Une vigilance particulière s’impose pour l’envoi de SMS avec un téléphone mis à disposition par l’employeur
De nombreux salariés sont équipés par leur employeur d’un téléphone et d’un ordinateur portables qu’il met à leur disposition pour l’exercice de leurs fonctions.
Muni de cette facilité, les salariés prennent souvent pour habitude d’utiliser ce téléphone aussi bien pour leurs communications personnelles que professionnelles, négligeant l’emploi d’un second téléphone dédié à leurs appels et SMS personnels.
Cette précaution, qui peut paraître coûteuse, aurait pourtant le mérite de les mettre à l’abri de toute difficulté.
La liberté de ton sur le travail, les collègues et/ou ses responsables hiérarchiques exprimée à travers l’envoi de SMS à partir de son téléphone professionnel n’échappe pas à l’employeur et peut en conséquence exposer leur auteur à de lourdes déconvenues.
Il est donc vivement conseillé de se montrer prudent dans la rédaction des SMS envoyés à des collègues, ou d’anciens collègues, à partir de son téléphone professionnel.
Une présomption de caractère professionnel
La Chambre sociale de la Cour de cassation affirme dans une récente décision (Cass. Soc. 11 déc. 2024 n° 23-20716) que :
Les messages adressés par un salarié à des collègues en poste ou ayant quitté l’entreprise, contenant des propos critiques à l’égard de la société et dénigrants à l’égard de ses dirigeants, qui bénéficient d’une présomption de caractère professionnel pour avoir été envoyés au moyen du téléphone mis à sa disposition pour les besoins de son travail et dont le contenu est en rapport avec son activité professionnelle, ne revêtent pas un caractère privé et peuvent être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire, peu important que ces échanges ne soient pas destinés à être rendus publics
Si cette motivation ne surprend guère, et se situe dans le prolongement d’une précédente décision de 2015 (rendue à l’époque par la Chambre commerciale de la Cour de cassation), elle contient plusieurs enseignements à ne pas négliger.
Tout d’abord, les SMS envoyés par le salarié à des collègues, ou d’anciens collègues, à partir de son téléphone professionnel bénéficient d’une présomption de caractère professionnel.
Cela s’applique en premier lieu aux messages qu’il envoie, en rapport avec son activité professionnelle, qui sont donc incontestablement placés sous le regard scrutateur de l’employeur.
Mais il résulte en outre de cette « présomption de caractère professionnel » que l’employeur est habilité à prendre connaissance des messages envoyés par le salarié de son téléphone professionnel à un collègue sans que puisse valablement être invoqué le caractère privé de cette conversation.
Ce téléphone est considéré comme un outil professionnel qui, comme tel peut selon la Cour régulatrice être examiné par l’employeur qui l’a mis à la disposition du salarié pour son activité professionnelle.
En cas de contestation sur la nature privée de son échange de SMS, il appartiendra au salarié de faire la démonstration a posteriori, et après que l’employeur a eu connaissance du message litigieux, qu’il s’agissait en réalité d’un message d’ordre privé.
Le mal aura donc été déjà fait…
Se lâcher avec un collègue en propos aigres-doux sur son responsable hiérarchique ou sur les dirigeants de l’entreprise n’est donc pas du meilleur effet, le contrevenant encourant une sanction disciplinaire.
Les faits de l’affaire
Un salarié ayant 15 ans d’ancienneté, exerçait la fonction de « business unit manager », à laquelle s’était ajoutée ultérieurement celle de conseiller du Président.
L’employeur l’avait licencié pour faute lourde, lui reprochant ses propos tenus par SMS à partir de son téléphone professionnel.
Il lui était en effet fait grief d’avoir critiqué auprès d’autres salariés une directive relative à l’obligation faite aux cadres de l’entreprise de déclarer leurs heures de travail et celles incombant aux responsables d’unité d’exploitation de remplir leurs chiffres dans un logiciel.
L’intéressé était également blâmé pour avoir indiqué à un ancien collègue que sa démarche de faire citer l’employeur devant le Conseil de prud’hommes lui paraissait « logique », affirmant à un autre qu’il y avait de fortes probabilités que la société perde devant cette juridiction.
Le salarié contestait son licenciement et soutenait, à l’appui d’une jurisprudence établie, ne pas avoir employé de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, de sorte qu’aucun abus n’était caractérisé, et qu’il jouissait dans l’entreprise et en dehors de sa liberté d’expression.
Cependant, pour la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, l’abus ayant justifié son licenciement pour faute grave, et non lourde, était la manière dont il avait désigné le Directeur Général de l’entreprise.
Dans un échange avec un collègue à propos de « l’EPD » (entretien progrès développement), il lui avait répondu à propos de ce Directeur Général, « on peut vraiment dire : le PD », cette seule circonstance suffisant à valider son congédiement, peu importe le caractère restreint de la diffusion de ces propos.
Quelle échappatoire pour empêcher que l’employeur prenne connaissance des SMS envoyés avec un téléphone professionnel ?
Il ne demeure qu’une possibilité qui s’avère concrètement assez difficile à mettre en œuvre en pratique.
Dans sa décision fondatrice de 2015, la Cour de cassation avait jugé (Cass. Com. 10 fév. 2015 n° 13-14779) :
L’employeur est en droit de consulter les SMS envoyés par le salarié à partir du téléphone qu’il met à la disposition pour les besoins de son travail, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels.
Il faut donc que le salarié identique en caractères apparents que son message est « personnel ».
La tâche ne parait pas insurmontable pour un mail, dans lequel il suffit d’indiquer la mention « personnel » en objet, mais pour un SMS, la démarche est nettement courante.
Pour se mettre à l’abri de l’employeur, il faudra donc prendre l’habitude d’indiquer dans la ligne Objet du SMS (qui est très souvent inutilisée) : « personnel ».