Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

La mention « j’aime » sur Facebook, motif de licenciement ?

Un employeur est-il en droit de licencier une salariée pour avoir inscrit la mention « j’aime » à la suite de plusieurs pages Facebook dont elle approuvait le contenu ?

La réponse à cette interrogation, qui touche à la liberté d’expression, est évidemment négative, la liberté d’expression étant consacrée comme une liberté fondamentale, soutenue par des textes internes (constitution) et internationaux (article 10 CEDH, article 11 Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne…) à très forte valeur protectrice, et seul un abus pourrait le cas échéant justifier une sanction de son auteur.

La jurisprudence de la Cour de cassation a certes récemment connu un durcissement après que sa Chambre sociale ait validé le licenciement d’un salarié pour faute grave, dont l’employeur, qui n’était pourtant pas admis à accéder à son compte Facebook, s’était prévalu de l’atteinte à la confidentialité de ses affaires à laquelle l’intéressé s’était livré (Cass. Soc. 30 sept. 2020 n° 19-12058).

A ce stade néanmoins, aucune juridiction prud’homale ne semble avoir tranché de litige relatif au congédiement d’un salarié ayant approuvé, le pouce en l’air, un message ayant suscité son enthousiasme.

C’est pourtant le désagrément qui s’est produit pour une salariée turque qui avait manifesté à plusieurs reprises, son approbation de pages au contenu critique à l’égard du pouvoir en place, licenciée pour cette raison par le gouvernement turc, qui était son employeur.

Une salariée, employée de l’administration turque, avait épuisé les voies de recours après avoir contesté son licenciement

Son licenciement a donné lieu à une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, condamnant le gouvernement turc.

Cette salariée, employée depuis 1996 par l’administration turque, occupait en dernier lieu un poste d’agente de nettoyage dans un établissement d’enseignement.

Une procédure disciplinaire avait été engagée contre elle le 24 mars 2016 par la Préfecture d’Adana pour les mentions « J’aime » qu’elle avait ajoutées sur certains contenus Facebook publiés, au motif « qu’il s’agissait de contenus inculpant les professeurs de viol, accusant les hommes d’État et relevant des partis politiques ».

En réalité, il était reproché à l’intéressée d’avoir approuvé (« liké »), sans aucun commentaire, quatre messages sur Facebook ayant une connotation politique prenant la défense du peuple kurde et condamnant les propos sexistes d’un religieux, entre le 29 novembre 2015 et le 7 mars 2016

Le 1er septembre 2016, la commission disciplinaire prononça son licenciement.

Le recours formé par l’intéressée devant le Tribunal du travail fut rejeté le 20 avril 2017, cette juridiction estimant que « ces contenus ne pouvaient être considérés couverts par la liberté d’expression, compte tenu de l’établissement où travaillait la requérante, le contenu relatif aux professeurs était offensant pour ces derniers et pouvait être vu par des élèves et des parents et les inquiéter, que les autres contenus étaient politiques et que les contenus en question étaient ainsi de nature à perturber la paix et la tranquillité du lieu de travail. En conséquence, la résiliation du contrat de travail de la requérante était conforme à la procédure et à la loi ».

La Cour d’appel, puis la Cour de cassation turque, approuvèrent cette décision.

Position de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

avocat licenciement facebook

La salariée avait donc saisi le Cour Européenne des Droits de l’Homme, soutenant que le fait d’avoir cliqué sur le bouton « J’aime » de certains contenus Facebook ne comportait aucun élément infractionnel et correspondait à l’exercice normal de son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

La CEDH avait à charge de déterminer si la sanction prise par son employeur était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier étaient « pertinents et suffisants ».

Elle tout d’abord estimé que l’emploi des mentions « J’aime » sur les réseaux sociaux, qui pourrait être considéré comme un moyen d’afficher un intérêt ou une approbation pour un contenu, constitue bien, en tant que tel, une forme courante et populaire d’exercice de la liberté d’expression en ligne.

Elle a ensuite constaté que la salariée n’était pas la personne ayant créé et publié les contenus litigieux sur le réseau social concerné et que son acte se limitait à cliquer sur le bouton « J’aime » se trouvant en dessous de ces contenus.

Elle relève que l’acte d’ajouter une mention « J’aime » sur un contenu ne peut être considéré comme portant le même poids qu’un partage de contenu sur les réseaux sociaux, dans la mesure où une mention « J’aime » exprime seulement une sympathie à l’égard d’un contenu publié, et non pas une volonté active de sa diffusion.

Elle souligne ensuite qu’il n’est pas allégué par les autorités turques que les contenus en question avait atteint un public très large sur Facebook.

Enfin, compte tenu de la nature de sa fonction, la salariée ne pouvait disposer que d’une notoriété et d’une représentativité limitée dans son lieu de travail et ses activités sur Facebook ne pouvaient pas avoir un impact significatif sur les élèves, les parents d’élèves, les professeurs et d’autres employés.

Une sanction disproportionnée et d’une extrême sévérité

Elle considère en conséquence que le licenciement de la salariée constituait incontestablement, eu égard notamment à l’ancienneté de la requérante dans sa fonction et à son âge, une sanction d’une extrême sévérité, et conclut à l’absence de proportionnalité raisonnable entre l’ingérence dans l’exercice du droit de la requérante à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi, de sorte que qu’il y a eu violation par le gouvernement Turc de l’article 10 de la Convention protégeant la liberté d’expression (CEDH 15 juin 2021, affaire Melike c/ Turquie, n° 35786/19).

Rappelons pour conclure, qu’en France, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que le salarié jouit, sauf abus, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression, à laquelle seules les restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

passe sanitaire et incidence à l'égard du contrat de travail d'un salariéIncidence du pass sanitaire à l'égard des salariés
indemnite licenciement conge parental d'educationRetour de congé de maternité : quelles sont les obligations de l'employeur ?