Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Le télétravail : après l’engouement, le début d’un retour en arrière
Le télétravail a connu un développement fulgurant avec la crise sanitaire de 2020, les employeurs, et par voie de conséquence les salariés, découvrant alors tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de l’exercice de leur activité professionnelle à distance.
Selon une étude de l’INSEE de mars 2025, le taux de salariés du secteur privé pratiquant le télétravail est passé de 4 % en 2019 à 22 % en 2024.
Les accords d’entreprise prévoient majoritairement entre un et deux jours de télétravail par semaine.
Ce mode d’organisation a été adopté par de nombreuses entreprises, avec la plupart du temps l’adhésion enthousiaste des salariés.
Mais la période d’engouement parait révolue, la tendance des employeurs à un encadrement plus strict de l’activité des salariés semblant dorénavant prendre le pas.
Pour autant, ces derniers ne sont pas prêts à renoncer à leurs jours de travail à domicile, auxquels ils trouvent des avantages certains.
Le télétravail soulève nécessairement des interrogations sur le plan juridique, que la jurisprudence s’efforce de lever progressivement.
Les frais de transport, une question résolue
Un premier type de contentieux, que nous avions évoqué, avait pris naissance au sujet des frais de transport des salariés.
Nombreux sont en effet les télétravailleurs qui ont choisi, aussi bien pour des raisons de coût du logement que de qualité de vie, de vivre à distance de leur lieu de travail, surtout lorsqu’il est situé dans la métropole parisienne.
La question s’est donc posée de savoir si l’employeur devait supporter les frais d’abonnement des salariés, quel que soit leur éloignement du siège de l’entreprise.
Le remboursement partiel d’un abonnement Navigo est sensiblement moins élevé que celui d’un abonnement Grand Voyageur de la SNCF… la participation des employeurs à ces frais, alors que leur montant peut être du simple au triple, en ayant fait tiquer plus d’un.
Des entreprises ont ainsi rechigné à rembourser leurs frais d’abonnement à ces salariés, estimant qu’elles n’avaient pas à encourager, par leur remboursement, ce qu’elles considéraient comme une situation de confort.
La Cour de cassation ne pas partage les critiques de ces employeurs.
Elle s’est appuyée sur les dispositions du Code du travail, qui ne distinguaient pas selon la situation géographique de résidence du salarié (article L 3261-2).
Le seul critère déterminant pour la prise en charge des frais de transport des salariés, est celui de leur résidence habituelle, sans référence à un déplacement au sein d’une même région, ni à une durée de transport.
Ce contentieux est désormais tranché, et on retrouvera ici la position de l’administration (bulletin officiel de la sécurité sociale).
Les problèmes soulevés par l’attribution des titres restaurant aux salariés en télétravail
La deuxième question importante que pose le télétravail est celui du coût du repas à domicile, et donc de l’attribution, ou non, de tickets restaurant.
Les télétravailleurs doivent-ils en bénéficier au même titre que leur collègue qui se déplacent et travaillent au siège de l’entreprise, ou sont en déplacement chez un client ?
Deux thèses sont en présence.
Les salariés qui sont en télétravail à leur domicile n’ont pas à supporter de frais liés à leur restauration à l’extérieur.
Or, l’objectif des titres restaurant est précisément de permettre aux salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile, pour ceux qui sont dans l’impossibilité de prendre leur repas à domicile.
L’argument est cependant discutable, car il est incontestable qu’un repas pris au domicile a également un coût, l’intéressé devant d’une manière ou d’une autre supporter les dépenses liées à cette alimentation (sandwich, plat cuisiné, produits frais, livraison de repas, traiteur…).
Dans une décision du 30 mars 2021, que nous avions évoquée, le Tribunal judiciaire de Paris a penché pour l’octroi de titres restaurant aux salariés en télétravail.
Son analyse reposait sur le principe d’égalité de traitement entre salariés, les télétravailleurs se trouvant dans une situation équivalente à celle des salariés présents sur site.
C’est également la position qui vient d’être adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.
La clé du problème : l’égalité de traitement entre salariés
La Haute juridiction rappelle que le Code du travail dispose que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise (article L 1222-9, III, alinéa 1).
Elle ajoute que le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme agrée pour les recevoir (article L 3262-1 alinéa 1).
Un même salarié ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier.
En conséquence, la seule condition à l’obtention du titre-restaurant est que le repas du salarié soit compris dans son horaire journalier.
L’employeur ne peut donc refuser l’octroi de cet avantage à des salariés au seul motif qu’ils exercent leur activité en télétravail (Cass. Soc. 8 oct. 2025 n° 24-12373).
La réponse de la Cour régulatrice est parfaitement claire : les salariés en télétravail ont droit aux tickets restaurant, au même titre que leurs collègues exercant leur activité dans les locaux de l’entreprise.
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