Par France Muller – Avocat droit du travail, Paris
L’âge d’or du télétravail
Le télétravail connaitrait-il un mouvement de reflux après avoir connu son apogée pendant la crise sanitaire ?
Selon le Code du travail, le télétravail est défini comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication » (article L 1222-9).
Il y a quatre ans, une majorité d’entreprises découvraient ses bienfaits, qui avaient permis à bon nombre d’entre elles au cours de l’année 2020 et une partie de l’année 2021 d’adapter l’organisation du travail de leurs salariés aux restrictions qu’imposait la crise sanitaire… et de poursuivre une activité économique.
Le télétravail était alors paré de toutes les vertus : flexibilité, autonomie des salariés, meilleure articulation entre vie personnelle et vie professionnelle, meilleure productivité, gain de temps et meilleure disponibilité du fait de l’absence de transport, sans oublier : contribution à la réduction de l’empreinte carbone, réalisation d’économies, baisse de l’absentéisme….
C’est dans ces conditions que de très nombreux accords d’entreprise et conventions collectives (industries pharmaceutiques, télécommunications, sociétés financières, notamment) ont été conclus entre partenaires sociaux afin d’en faciliter le recours.
Une meilleure productivité pour les employeurs et une meilleure organisation du temps pour les salariés
Depuis quelque temps, un mouvement de retour en arrière semble se dessiner, les avantages que l’employeur trouvait s’estompant subitement devant la nécessité de contrôler l’activité des salariés.
Et pour contrôler cette activité, rien ne vaut leur mise sous cloche dans l’entreprise.
Seul le secteur « de la tech » parait échapper à cette tendance, pour la simple raison que le télétravail constitue un mode d’organisation du travail non négociable pour les salariés que recrutent ces sociétés.
L’instauration du télétravail reposait en principe sur un équilibre bien senti entre employeurs et salariés : une meilleure productivité pour les uns, assortie d’une optimisation du temps pour les autres.
Les premiers avaient été convaincus par de nombreuses études, qu’utilisé deux à trois jours par semaine, il permettait un gain de productivité pour l’entreprise.
Sans doute n’étaient-ils pas non plus tout à fait insensibles aux économies qu’ils pouvaient ainsi réaliser, et peut-être à une forme de paix sociale que le télétravail leur procurait à travers les bénéfices que les salariés en tiraient eux-mêmes sur leur bien-être personnel.
De fait, les salariés trouvent majoritairement dans le télétravail un avantage important pour l’organisation de leur temps, auquel ils ne sont pas prêts à renoncer.
Une telle affirmation doit néanmoins être parfois nuancée avec la difficulté qu’éprouvent certains d’entre eux à consacrer à leur domicile un espace de travail dédié.
Sans compter quelques débordements de managers ayant la fâcheuse tendance à confondre le télétravail avec un tout horaire sans limite.
Un retour à une réalité oubliée
On assiste dans notre pratique professionnelle, sans que cela ait valeur de généralité, à une reprise en main de l’organisation du temps de travail des salariés par l’employeur, qui ne souffre guère de contestation.
C’est ainsi par exemple qu’à la faveur de la renégociation d’un accord collectif sur le télétravail, ce ne sont plus trois jours par semaine, mais désormais deux, voire un seul, qui sont autorisés.
Cette modification répond manifestement à une volonté d’emprise de l’employeur sur l’activité des salariés, la crainte d’un relâchement du télétravailleur l’emportant sur les gains de productivité espérés.
C’est le constat qu’à l’usage, une trop grande flexibilité dans l’organisation du temps de travail n’est plus satisfaisante.
Le vieux réflexe du pouvoir de direction de l’employeur, se manifestant de manière primaire par une mainmise sur la présence physique des salariés dans l’entreprise.
Ce retour à la case départ trouve sa justification dans l’expression des doutes de l’employeur sur la productivité réelle de ses salariés.
Et qu’importe si ces derniers s’étaient parfaitement accommodés de cette alternance entre travail sur site et télétravail et qu’ils y avaient adapté leur organisation.
Autant dire que ces nouvelles dispositions des entreprises ne font pas que des heureux !
Quelques exemples de détournement de pouvoir par l’employeur
Pire encore, le télétravail est directement ou indirectement la cause de sanctions disciplinaires prises contre des salariés.
La plus fréquente, la baisse de productivité en télétravail, sert opportunément de motif de licenciement (pour faute grave) pour se débarrasser d’un salarié.
Dans une récente affaire, c’était le motif invoqué par un employeur, qui s’était farouchement opposé aux préconisations du médecin du travail de prévoir deux jours de télétravail par semaine, afin épargner les transports en commun à l’intéressé, dont l’état de santé était dégradé.
Cette baisse de productivité était en réalité parfaitement infondée !
Ou ce salarié, dont les états de service avaient toujours été exemplaires, mais qui avait eu l’infortune de demander un télétravail à temps plein, auquel il était éligible d’après les termes de l’accord d’entreprise.
Là encore, l’employeur s’y était opposé et l’avait immédiatement licencié pour un motif fallacieux, sans aucun lien avec cette demande
Enfin, il ne faut pas négliger la mesure de rétorsion que constitue la suppression du télétravail, brandie comme une menace, dès lors qu’un employeur souhaite imposer une décision au salarié à laquelle celui-ci rechigne.
Retour au bercail et fin du télétravail sont-ils programmés à terme par les employeurs ? Plusieurs études le laissent à prévoir….