Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Si le télétravail est actuellement devenu la norme pour de nombreux salariés, il n’est pas sans poser de problème et suscite de multiples interrogations

Rappelons que le protocole sanitaire en vigueur, qui vaut à titre de recommandation mais n’a pas valeur contraignante, prévoit que dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, le télétravail « doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent . Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance… »

C’est peu dire que la crise sanitaire a servi de révélateur à de nombreux employeurs qui ont découvert les avantages que pouvait leur procurer ce mode d’organisation du travail dont l’usage était jusqu’à présent relativement limité et qui suscitait leur réserve, excepté dans certains secteurs d’activité particuliers.

Les craintes sur la productivité des salariés étant levées, le télétravail s’avère tout compte fait d’un intérêt évident.

Une moindre occupation des locaux de l’entreprise permet en effet une réduction importante des coûts pour l’employeur.

Cette logique avait été comprise depuis longtemps par les entreprises de services du numérique et certaines sociétés de conseil, qui ont développé un concept de « bureau nomade », dans lequel les salariés, qui se déplacent fréquemment n’ont pas de bureau attitré mais sont équipés d’un ordinateur portable et occupent un poste de travail resté vacant lorsqu’ils sont (rarement) présents dans l’entreprise.

Aux États-Unis, Salesforce, entreprise leader mondial de la gestion de la relation client (CRM) employant plus de 50 000 salariés dans le monde, a même trouvé une solution plus avantageuse en envisageant d’organiser sans plus attendre le télétravail permanent pour l’ensemble de ses salariés, et par la même occasion de réduire la superficie des locaux qu’elle utilise, et en conséquence ses charges, partout où elle dispose d’implantations.

Les salariés en feront-ils les frais ?

L’impact du télétravail à l’égard des salariés est loin d’être négligeable.

Plusieurs études établissent que les salariés sont globalement satisfaits du télétravail, et une part importante d’entre eux souhaite continuer à le pratiquer après que la crise sanitaire soit enfin terminée.

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Mais cette affirmation doit être nuancée car elle est appréciée diversement selon les situations personnelles.

Le télétravail constitue inévitablement une immixtion dans la sphère privée du salarié et les contraintes qu’il impose sont ressenties différemment selon la situation familiale, les conditions d’hébergement…

Il implique en outre des frais à la charge de l’intéressé : occupation d’un espace, frais d’abonnement Internet, frais d’électricité, frais éventuels d’équipement.

A cet égard, l’Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 « pour une mise en œuvre réussie du télétravail » comporte un article spécifique (l’article 3.1.5) relatif à la prise en charge des frais professionnels.

Il rappelle que « le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur s’applique à l’ensemble des situations de travail. A ce titre, il appartient ainsi à l’entreprise de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur. Le choix des modalités de prise en charge éventuelle des frais professionnels peut être, le cas échéant, un sujet de dialogue social au sein de l’entreprise ».

L’ANI suggère en conséquence le versement par l’employeur d’une allocation forfaitaire au salarié destinée au remboursement des frais professionnels ainsi exposés.

De nombreux accords d’entreprise sur le télétravail traitent du sujet, et si ce n’est le cas mériteraient de le faire.

La position de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en la matière est en effet parfaitement établie, l’employeur doit indemniser le salarié de la sujétion que constitue l’occupation de son domicile ainsi que des frais qu’elle engendre (Cass. Soc. 7 avril 2010 n° 08-44865).

Pas de ticket restaurant pour les télétravailleurs, à moins que…

Une question récurrente se pose aux salariés en télétravail qui bénéficiaient de tickets restaurant lorsqu’ils exerçaient leur activité dans l’entreprise : l’employeur doit-il continuer à leur en remettre ?

Aucune obligation légale n’impose à l’employeur de faire bénéficier les salariés de cet avantage, le code du travail se contentant d’imposer à l’employeur dans les établissements de moins de 50 salariés de mettre à leur disposition un emplacement leur permettant de se restaurer dans de bonnes conditions de santé et de sécurité (article R 4228-23), et dans ceux d’au moins 50 salariés, de mettre à leur disposition un local de restauration (article R 4228-22).

Ces dispositions sont à combiner avec celles de l’article L 1222-9 III, qui prévoit que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».

Des salariés placés en télétravail par leur employeur en raison de la crise sanitaire avaient saisi le Juge après qu’il ait cessé de leur remettre les précieux tickets et demandaient à ce qu’il lui soit enjoint de continuer à les en faire bénéficier.

Par jugement du 10 mars 2021 (n° 20/09616), le pôle social du Tribunal judiciaire de Nanterre les en a déboutés.

La décision s’appuie sur le fait que l’objectif de financement des tickets restaurant poursuivi par l’employeur est de permettre aux salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux se trouvant dans l’impossibilité de prendre leur repas à domicile.

Or, les salariés exercent le télétravail à leur domicile, de sorte qu’ils n’ont aucun surcoût lié à leur restauration à l’extérieur, et en conséquence, ne peuvent prétendre à l’attribution de tickets restaurant.

La motivation est discutable, occultant le fait que le repas pris au domicile en raison de la situation imposée a également un prix.

Cette décision est au demeurant contredite par un autre jugement, du Tribunal judiciaire de Paris, en date du 30 mars 2021 (RG n° 20/09805), qui faisait droit à la demande du CSE d’accorder des tickets restaurant aux télétravailleurs.

Les Juges, s’appuyant notamment sur le principe d’égalité entre les télétravailleurs et les salariés exécutant leur mission dans les locaux de l’entreprise, considèrent que « les conditions d’utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site« .

Ils sont donc fondés à bénéficier de tickets restaurant…

Cette contradiction sera sans doute tranchée par une Cour d’appel, avant que la Chambre sociale de la Cour de cassation ait à se prononcer.

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