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L’employeur peut-il recourir à un « client mystère » pour évaluer et surveiller les salariés ?

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le contexte

Les modes de preuve en matière de droit du travail ont connu dernièrement une évolution très sensible, pour le meilleur comme pour le pire.

D’une part en effet, la jurisprudence reconnaît enfin à un salarié, qui se trouve dans un rapport de force déséquilibré par rapport à son employeur, la possibilité de produire comme élément de preuve, sous certaines conditions, l’enregistrement qu’il a réalisé à son insu dans le litige qui les oppose.

« Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi », selon une formule déjà largement éprouvée (Cass. Soc. 10 nov. 2021 n° 20-12263).

D’autre part, et cela nous semble plus critiquable, la Cour de cassation vient de considérer qu’un employeur pouvait user de ce qui s’apparente à un stratagème pour piéger un salarié et le confondre dans la commission d’un fait fautif, ce qu’elle s’était jusqu’à présent montrée réticente à valider.

L’exigence de loyauté dans l’administration de la preuve

L’administration de la preuve est gouvernée par un principe de loyauté qui permet au Juge d’écarter des débats les procédés déloyaux utilisés par l’employeur méconnaissant cette exigence.

C’est ainsi que la mise en œuvre par l’employeur d’un stratagème est fermement condamnée, la fin ne justifiant pas tous les moyens.

Ont à ce titre été rejetés la filature d’un salarié par son supérieur hiérarchique ou l’introduction de lettres piégées, contenant une encre de couleur après leur ouverture, dans l’unique but de prendre un salarié la main dans le sac.

En outre, des images captées par une caméra de surveillance orientée en permanence vers un salarié afin d’en surveiller et contrôler les mouvements en toute circonstance sont illicites, comme portant atteinte à sa vie privée (Cass. Soc. 23 juin 2021 n° 19-13856).

La Loi a également posé des garde-fous pour encadrer les initiatives débridées d’employeurs sans limite.

L’information préalable du salarié sur la mise en œuvre de tout dispositif de surveillance et de contrôle

Le Code du travail impose à l’employeur qui met en œuvre un dispositif de surveillance et de contrôle pendant leur temps de travail d’en informer les salariés concernés (article L 1222-3 du Code du travail).

Le texte ajoute que « les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».

Il incombe également à l’employeur de consulter le Comité Social et Économique (CSE) préalablement à la mise en œuvre des moyens de contrôle de l’activité des salariés (article L 2312-37 du Code du travail).

La Chambre sociale se montre très sourcilleuse sur le respect de ces obligations, et plus encore de la première, jugeant que lorsque le dispositif de contrôle n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, sa validité en est entachée (Cass. Soc. 23 nov. 2005 n° 03-41401).

Le client mystère : une entrée fracassante en droit du travail

On connaissait du client mystère son anonymat pour évaluer la qualité d’un service dispensé par une entreprise à sa clientèle, son utilisation étant ici cantonnée aux techniques de marketing.L'employeur peut-il piéger un salarié ?

On ignorait que le procédé pouvait être transposé par un employeur à ses salariés, ce qui est tout de même révélateur du degré élevé de confiance qu’il leur accorde…

Un employeur (la société Autogrill), qui œuvre dans le secteur de la restauration, a donc eu la bonne idée de mandater un prestataire de services pour se livrer à une évaluation et effectuer un contrôle de l’activité de ses salariés en tant que « client mystère », avec sans doute quelques idées bien arrêtées derrière la tête…

Bien lui en a pris… les investigations du client mystère ont mis en évidence qu’un employé de restaurant libre-service n’avait remis aucun ticket de caisse à ses clients après l’encaissement des sommes demandées.

Le contrevenant était mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour motif disciplinaire.

Il contestait son licenciement devant la juridiction prud’homale, invoquant en particulier l’illicéité du mode de preuve déployé par son employeur, comme constitutif d’un stratagème.

La position de la Cour de cassation

Étonnement, la Haute Juridiction valide ce mode de preuve.

Elle relève que le salarié avait été informé de l’existence de ce dispositif de contrôle par l’affichage d’une note faisant état de la visite de « clients mystères », ainsi que par un compte-rendu d’une réunion du CSE.

L’information du salarié préalablement à la mise en œuvre de cette méthode d’évaluation professionnelle instaurée par l’employeur est donc jugée suffisante.

« Les éléments de preuve qu’il a ainsi recueillis sont recevables pour établir la matérialité des faits invoqués à l’appui du licenciement disciplinaire » (Cass. Soc. 6 sept. 2023 n° 22-13783).

On reste tout de même assez dubitatif à l’égard de la solution rendue.

Le recours à une entreprise tierce pour contrôler l’activité de ses salariés, sous couvert de client mystère, ne va sûrement pas fluidifier les relations entre employeur et salariés, ni favoriser un climat de confiance et d’apaisement dans l’entreprise.