Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La définition de fonctions est-elle obligatoire ?
La question taraude de nombreux salariés lors de leur embauche, ou après qu’ils aient changé de fonction dans l’entreprise : l’employeur, qui ne leur a pas remis de fiche de poste (ou de définition de fonction, selon l’intitulé) était-il en droit de s’abstenir ?
Inévitablement, le salarié se remémorera ses expériences antérieures, ou sera tenté de faire la comparaison avec un de ses collègues qui, lui, a bénéficié d’une fiche de poste pour le même emploi.
Étonnement, dans la précédente entreprise, son contrat de travail comportait en annexe une liste exhaustive des tâches relevant de sa qualification, alors que celui qui vient de lui être remis (ou l’avenant à son contrat) se contente d’indiquer la qualification de l’emploi, sans en donner de contenu exhaustif.
Soyons clair, jusqu’à présent, et sauf rare exception où la convention collective le prévoit, l’employeur n’avait pas d’obligation de remettre au salarié un document précisant le contenu détaillé de son poste ou une définition précise de ses fonctions.
Ce que prévoit la loi
Soucieux d’harmoniser les dispositions du Code du travail avec le Droit de l’Union Européenne, le législateur y a introduit un nouvel article le 9 mars 2023.
Celui-ci dispose que « l’employeur remet au salarié un ou plusieurs documents écrits contenant les informations principales relatives à la relation de travail » (article L 1221-5-1 du Code du travail).
Cet article ajoute que le salarié qui n’a pas reçu ces informations peut saisir le Conseil de Prud’hommes afin de les obtenir, après une mise en demeure restée infructueuse de l’employeur.
Un décret du 30 octobre 2023 a ensuite donné une liste de 14 informations qui sont dues a minima à tous les salariés (article R 1221-34 du Code du travail).
Entre le lieu de travail… et la date d’embauche… figurent expressément « l’intitulé du poste, les fonctions, la catégorie socioprofessionnelle ou la catégorie d’emploi ».
L’employeur a donc l’obligation de remettre au salarié un document, le contrat de travail, comportant l’intitulé de son poste et de ses fonctions.
Un arrêté, à destination des employeurs, a été publié le 3 juillet 2024, fixant les modèles de document d’information requis.
Il reviendra à l’avenir à la jurisprudence de déterminer ce que recouvrent ces obligations légales, et notamment sous quelle forme se présente l’intitulé des fonctions, ainsi et surtout, que les conséquences de la défaillance de l’employeur.
Mais on peut d’ores et déjà interpréter ce texte en considérant que s’il mentionne l’intitulé de poste et les fonctions, cela justifie que l’employeur détermine le contenu de celles-ci…
Modification du contrat ou des conditions de travail ?
La connaissance des limites de la qualification de l’emploi d’un salarié présente un enjeu de taille.
On sait en effet que si l’employeur tient de son pouvoir de direction la possibilité de modifier les tâches du salarié, une modification du contrat de travail nécessite impérativement l’accord de ce dernier.
De sorte que lorsqu’un salarié se voit attribuer des fonctions qui ne relèvent pas de sa qualification, il est fondé à en refuser l’exécution, alors que si les nouvelles attributions qui lui sont confiées constituent des tâches inhérentes à sa qualification, un refus l’expose à une sanction disciplinaire, voire à un licenciement.
Le salarié aurait cependant tort de croire qu’une définition de poste ou une fiche de fonctions annexée à son contrat de travail constitue un référentiel le mettant à l’abri de tout écart.
La lecture attentive de cette définition de fonctions peut souvent réserver des surprises.
Elle donnera certes incontestablement l’orientation précise des attributions du salarié, mais la plupart du temps, les employeurs ont grand soin d’y mentionner expressément que l’énumération des tâches qu’elle contient ne présente pas un caractère exhaustif, se ménageant ainsi la possibilité d’y ajouter.
La question de la validité des nouvelles attributions que l’employeur souhaite imposer au salarié restera donc intacte.
La position de la jurisprudence
La position de la Chambre sociale de la Cour de cassation peut se résumer ainsi :
« Si l’employeur, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir général de direction de l’entreprise peut apporter des changements à la fonction du salarié et à ses conditions de travail dès lors que la tâche demandée, bien que différente de celle exercée antérieurement, répond à la qualification de l’intéressé, cette qualification doit s’apprécier au regard des fonctions réellement exercées par le salarié » (Cass. Soc. 27 oct. 2009 n° 08-42707).
Ce dont il se déduit notamment, que le changement de tâches ayant une incidence sur la qualification du salarié ou son niveau hiérarchique dans l’entreprise, constitue une modification de son contrat de travail, qu’il est en conséquence fondé à refuser.
Ainsi, l’appauvrissement des missions et des responsabilités d’un salarié, qui se voit confier par l’employeur des tâches relevant d’un emploi inférieur à celui qu’il occupait précédemment, procède incontestablement d’une modification de son contrat de travail (Cass. Soc. 29 janv. 2014 n° 12-19479).
Cependant, a contrario, il a été jugé dans une affaire où le salarié avait conservé, à l’occasion de son changement de fonction, l’essentiel de ses attributions et que si le nouveau poste engendrait un nombre accru de tâches physiques, celles-ci n’avaient entraîné aucun appauvrissement du travail ni perte de responsabilité.
En conséquence, il s’agissait d’un simple changement des conditions de travail que l’employeur pouvait valablement lui imposer (Cass. Soc. 22 mai 2019 n° 18-11107).